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conclusion

joie, avec amour. C’est sans doute encore le droit du plus fort, mais Nietzsche finit par prendre ce droit dans son sens le plus élevé et le plus désintéressé, au profit d’une race humaine supérieure ou surhumaine, qui produira la sélection.

Toutes les conséquences habituellement tirées du darwinisme par les partisans de la force, surtout en Allemagne, nous les avons vues se développer chez Nietzsche[1]. Il est aristocrate et ennemi de la démocratie, comme tous les darwinistes qui veulent appliquer purement et simplement la loi darwinienne à la société humaine. Il est ennemi du socialisme, qui est une coalition des faibles et des misérables contre cette loi du plus fort qui devrait les faire disparaître. Il n’est pas moins ennemi de l’anarchisme politique, parce que, là encore, il y a hostilité contre l’autorité et le commandement des forts. Il est cependant ennemi de l’État politique et même de la société, parce que l’État et la société sont régis par la loi des troupeaux et tendent, selon lui, à l’étouffement des individualités, surtout des individualités supérieures. Le mouvement féministe l’irrite, comme une insurrection du sexe faible contre le sexe fort. Le pessimisme l’irrite, comme une tendance à la dégénération et à la décadence (et en cela il est d’accord avec Guyau, qui a montré dans le pessimisme à la fois un effet et une cause de l’affaiblissement vital). Enfin, la pitié, la charité, la solidarité, toutes les idoles du jour lui paraissent des causes de décadence. À en croire Zarathoustra, « la guerre et le courage ont fait plus de grandes choses que l’amour du prochain ; ce n’est pas votre pitié, mais votre bravoure, guerriers, qui sauva jusqu’à présent les victimes[2]». Le grand exemple que Nietzsche invoque, nous l’avons vu, c’est la fondation et la durée de l’Empire romain, objet de son admiration la plus profonde ; il ne se demande pas

  1. Voir plus haut, livre deuxième.
  2. Zarathoustra, p. 59