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conclusion

De même, la vie dont parle Nietzsche, et qui était d’abord sa vie, finit par se changer en la Vie universelle. Les libertaires aboutissent à prêcher la solidarité ; ils prêchent même l’ordre, un ordre nouveau, ordre naturel selon eux, qui se substituera à l’ordre artificiel de la Politique, de la Religion et de la Morale.

Ce progrès des idées offre pour le philosophe le plus haut intérêt, puisqu’il tend à rapprocher et à concilier les doctrines les plus adverses. Toutefois, en entendant les théoriciens actuels de l’anarchisme libertaire, un Stirner conséquent ne pourrait-il s’écrier à son tour : — Cet Unique commun à tous que vous voulez substituer à mon unique, qui est moi, ce n’est encore qu’un nom de Dieu : c’est le mundus deus implicitus de Spinoza. Vous me volez mon moi au profit d’une idée.

Il est vrai qu’on pourrait, d’autre part, répliquer à Stirner : — C’est votre moi, comme tel, qui n’est lui-même qu’une idée, une forme sous laquelle votre être profond et caché s’apparaît. De deux choses l’une : si cet être profond n’est que vous, non les autres, s’il est vraiment individuel, rien ne pourra unir les égoïsmes ; s’il est à la fois vous, moi et tous, ne vous appelez pas vous-même unique et reconnaissez la fausseté de l’égoïsme.

De nos jours, l’individualisme libertaire petit être un contre poids utile aux excès du socialisme unitaire ; il n’en reste pas moins vrai qu’aucun individualisme ne saurait se suffire à lui-même. « La plupart des hommes, dit Nietzsche dans Aurore, ne font rien, leur vie durant, pour leur ego, mais seulement pour le fantôme de leur ego, qui s’est formé sur eux dans leur entourage. » Et Nietzsche voit pas que ce qu’il appelle son ego est, lui aussi, en grande partie, un fantôme social formé en lui par son entourage. Que serait Nietzsche, que serait son ego, sans tout ce que les autres y ont mis ? En croyant contempler son moi, c’est tout le monde qu’il contemple.— Zarathoustra, prétendent les Nietzschéens, est le « spéculatif », l’esprit serein « qui se joue de la mascarade sociale ».— Mais le dédain du dilettante n’est au fond