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nietzsche et l’immoralisme

nitaire. Il veut, ne l’oublions pas, une humanité supérieure à la nôtre et vraiment surhumaine : le « rêve du surhomme l’a visité ». Ce rêve hante sa veille comme son sommeil, il dirige sa pensée et ses actes. Si Zarathoustra réclame des individus forts, libérés de toute entrave, supérieurs à la plèbe, c’est qu’il y voit les seuls moyens de faire naître une race supérieure et plus qu’humaine.

IV

la morale de la vie est-elle suffisante.


On a très Justement dit qu’on ne peut condamner en bloc les théories de Nietzsche « sous prétexte que des médiocres et des impuissants gonflés de vanité lui empruntent quelques-uns de ses préceptes, arbitrairement détachés de l’ensemble de sa doctrine, pour justifier leurs appétits de jouissance égoïste on leurs extravagantes prétentions à la grandeur »[1]. Cependant, il faut bien en convenir, certains disciples ne détachent pas arbitrairement de l’ensemble un précepte particulier quand ils rejettent toute croyance au bien et au mal ; car ce rejet est ici le principe même de la doctrine. En outre, comme il n’y a aucun signe auquel un « homme supérieur », un « surhomme », puisse se reconnaître lui-même, chacun aura le droit d’essayer de se mettre au-dessus de la loi, pourvu qu’il réussisse ; chacun aura le droit de tenter le voyage au delà du bien et du mal : ce n’est même qu’à l’essai qu’on reconnaîtra ceux qui sont capables de la grande traversée. L’immoralité n’est donc plus ici, comme dans le cas du Disciple de Paul Bourget, une déformation et une application indues de vérités scientifiques mal interprétées et transportées

  1. Lichtenberger, la Philosophie de Nietzsche, Paris, Alcan, 1899.