Page:Fouillée - Nietzsche et l’immoralisme, 2e éd., 1902.djvu/31

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
7
l’immoralisme de stirner

la végétation parasite et stérile des facteurs régulateurs moraux ». Dans la justice, dans la moralité et tout l’appareil des sentiments « chrétiens », il dénonce une nouvelle police, « une police morale, ayant même origine et même but que la police de l’État : prohiber, réfréner et immobiliser ». Les veto de la conscience s’ajoutent aux veto de la loi ; grâce à la conscience, la « force d’autrui est sanctifiée et s’appelle le droit, la crainte devient respect et vénération, et le chien apprend à lécher le fouet de son maître[1]».

Les premiers penseurs libertaires avaient dit : — Que l’individu puisse se réaliser librement sans qu’aucune contrainte extérieure s’oppose à la mise, en œuvre de ses facultés : l’activité libre seule est féconde. — Stirner ajoute : — Que l’individu puisse vouloir librement et ne cherche qu’en lui seul sa règle, sans qu’aucune contrainte intérieure s’oppose à l’épanouissement de sa personnalité : seule l’individuelle volonté est créatrice. — Ce sera aussi la réponse de Nietzsche.

Seulement, remarquent les plus récents théoriciens de l’anarchisme, l’individualisme ainsi compris par Stirner et par ses successeurs n’a encore que la valeur négative d’une révolte, et n’est que « la réponse de ma force à une force ennemie ». L’individu n’est que « le bélier logique à l’aide duquel on renverse les bastilles de l’autorité ». En lui-même, il n’a aucune réalité et n’est qu’un dernier fantôme rationnel, le fantôme de l’Unique. « Cet Unique, où Stirner aborda sans reconnaître le sol nouveau sur lequel il posait le pied, croyant toucher le dernier terme de la critique et l’écueil où doit sombrer toute pensée, nous avons aujourd’hui appris à le connaître : dans le moi non rationnel fait d’antiques expériences accumulées, gros d’instincts héréditaires et de passions, et siège de notre grande volonté opposée à la petite

  1. Ibid.