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la volonté de puissance et le vouloir-vivre

se dresse sans rien poursuivre, la puissance de l’homme de génie, qui s’épand comme un nouvel océan et au besoin déborde en renversant tous les obstacles, les « droits du génie », la morale particulière des grands hommes, les « droits mêmes de la passion », de la simple passion brutale, géniale à force de violence, — amour, haine, colère, vengeance, tout ce qui est déchaîné au point de ne plus connaître de loi : — voilà ce dont le romantisme s’est enivré et nous a enivrés tous au XIXe siècle.

Zarathoustra commence par nous dire, en faisant allusion à Schopenhauer, son devancier : « Celui-là n’a assurément pas rencontré la vérité, qui parlait de la volonté de vie ; cette volonté n’existe pas. Car ce qui n’est pas ne peut pas vouloir, et comment ce qui est dans la vie pourrait-il encore désirer la vie ? » — On peut répondre à Nietzsche : — Ce qui est dans la vie désire la continuation de la vie ; il désire aussi l’accroissement de la vie sous toutes ses formes et notamment l’accroissement de la conscience de vivre. — Mais alors, objectera Nietzsche, le vrai principe n’est pas la volonté de vie ; « il est, — ce que j’enseigne, — la volonté de puissance. » Et nous répliquerons à notre tour : — La puissance est un simple extrait de la vie, sans laquelle elle ne serait pas.

Reste donc à dire en quoi consiste la vie. Zarathoustra répond : — « La vie elle-même m’a confié ce secret. — Voici ! dit-elle, je suis ce qui doit toujours se surmonter soi-même.

« Assurément vous appelez cela volonté de créer, ou instinct du but, du plus sublime, du plus lointain, du plus multiple : mais tout cela n’est qu’une seule chose et un seul secret. »

Ainsi reparaît chez Nietzsche l’idée de finalité ou son équivalent. Ce que d’autres appellent l’instinct du but, Zarathoustra l’appelle l’instinct de se surmonter sans cesse. Mais se surmonter implique une comparaison entre ce qui est atteint et ce qui est à atteindre, entre