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nietzsche et l’immoralisme

changer notre façon de sentir.[1] » Ainsi donc, selon Nietzsche, il faut éviter beaucoup des actions dites immorales et accomplir beaucoup des actions dites morales Nous voilà loin maintenant de cette complète « transmutation des valeurs » que Nietzsche avait tout à l’heure, soutenue, et qui aboutissait à rejeter « toutes » les prétendues vertus. Zarathoustra se borne désormais à cette assertion anodine, que, parmi nos raisons de faire bien, il y en a de fort incertaines, par exemple la terreur de l’enfer, la crainte de désobéir à la Divinité, la peur de commettre un péché, la résistance à la tentation du diable, ou encore la nécessité morale de se conformer à un « impératif catégorique », l’existence d’un liberum arbitrium indifferentiæ qui nous permettrait de faire juste le contraire de ce que nous faisons, et cela dans les mêmes circonstances, pile ou face, enfin l’existence d’une moralité pure et absolue. Il est bien clair qu’un Spinoza ou un Gœthe ne blâmeront pas un homicide de la même manière ni pour les mêmes raisons qu’un Napolitain adorateur de saint Joseph, qui brûle un cierge pour obtenir la grâce de bien enfoncer son couteau dans le dos de son ennemi. Comte, Spencer ou Guyau recommanderont vraisemblablement le respect du bien d’autrui pour d’autres raisons que l’espoir du paradis ; ils feront, nous venons de le rappeler, intervenir les conditions essentielles de la vie sociale. Que nous apprend donc Nietzsche ? Qu’il n’y a aucune espèce de morale, valable à aucun titre, pas plus qu’il n’y a d’alchimie valable ? Ce serait jouer sur les mots : la chimie a remplacé l’alchimie, la vraie science morale remplacera la fausse morale, voilà tout. Lui-même vient de reconnaître que beaucoup de choses doivent être évitées, que beaucoup doivent être faites, en vertu de certaines raisons. Eh bien, ces raisons (qu’il tire, comme Guyau, des instincts primitifs de la vie et du besoin qu’a la vie de se dépasser), ces raisons sont les principes

  1. Aurore, p. 103.