Page:Fourier - Sur l'esprit irréligieux des modernes et dernières analogies 1850.djvu/57

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de nos serviteurs, le chameau et l’âne, qui ne sont pas en société intellectuelle avec nous.

La nature a donné à l’éléphant des défenses d’ivoire, armes très-riches, par analogie à notre état social qui affecte le luxe à la force, à la classe improductive et dominatrice. Aussi, la trompe qui est arme et machine à la fois est-elle pauvrement vêtue parce qu’elle est productive et que l’éléphant doit représenter l’état de l’industrie et de la vertu victimes de l’injustice et de la raillerie. Pour emblème du sort de la vertu, il est risible à l’arrière par le contraste de sa croupe et de sa queue chétive et sans grâce. Ainsi que lui, la vertu est risible à l’arrière ; dès que l’homme vertueux a tourné le dos, dès qu’il est sorti d’une assemblée, on le crible de quolibets, ses vertus sont un objet de risée : « c’est, dit-on, une bête avec ses visions de probité ; il aurait pu faire ses affaires dans tel poste de finances ; il n’a pas grivelé un écu. Il déclamait contre la corruption et parlait indiscrètement de certaines particularités ; on l’a fait déguerpir avec sa vertu. C’est un de ces lourdauds qui ne peuvent pas frayer avec le monde comme il faut, c’est un imbécille qui n’aura jamais le sou. » Sur ce, les moralistes répondent que la vertu perfectibilisée par la philosophie moderne doit savoir se prêter aux convenances du monde. La nature pense tout autrement ; elle a peint les vertus accommodantes ou vertus morales dans le Caméléon, reptile méprisable, image fidèle de ces vertus du monde que Bernardin de Saint-Pierre nomme avec raison frivoles et comédiennes vertus.

Les dents de l’éléphant distribuées en 4 groupes, 2 ascendants et 2 descendants, sont l’emblème des 4 groupes formés par les 4 passions affectives dont l’éléphant dépeint l’essor vertueux : 2 groupes ascendants, amitié, ambition ; 2 groupes descendants, amour, paternité.

L’extrême petitesse de ses yeux forme un contraste choquant avec l’énorme dimension de son corps. C’est un tableau des vues rétrécies de l’homme vertueux. Il ne suffit pas de pratiquer la vertu, il faudrait savoir prendre des mesures pour la rendre dominante et heureuse. Un tel effet ne peut avoir lieu que dans un ordre social où la vertu serait plus lucrative que la vertu ; il fallait chercher et découvrir cet état social que j’indique plus loin et qui est fort différent de la Civilisation. Nos hommes vertueux, depuis Socrate jusqu’à Fénélon, n’ont pas entrevu la nécessité de cette recherche. Ce sont des aveugles en politique de vertu. Pour figurer leur cécité, le rétrécissement de leurs vues politiques, la nature donne à l’Éléphant un petit œil ridicule par sa disproportion avec un être si colossal.

Ses oreilles sont l’opposé des yeux. Leur immense volume et leur forme écrasée figurent la souffrance de l’homme de bien qui n’en-