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MON ENCRIER

tes ?… De quel privilège étrange jouit donc M. Rostand, et si, avec Chantecler, il obtient encore un succès relatif, comment expliquer cela ?

Lui-même va se charger de nous le faire entendre :

…C’est que dans l’air
Il avait dû rester de ma chanson d’hier !

(Chantecler, acte IV, scène 6.)

Tout le secret est là. Cyrano et, dans une moindre mesure, l’Aiglon, ont laissé dans toutes les mémoires une si forte trace, qu’à l’auteur de ces deux œuvres on est prêt à tout pardonner. « C’est un de ces hommes — disait un jour de M. Rostand l’un de ses compatriotes — qui font qu’en chemin de fer ou en paquebot, à l’étranger, on ne se sent pas humilié à côté d’un Anglais. » Aux yeux d’un grand nombre, ici, l’auteur de Cyrano est avant tout une gloire française, il fait pour ainsi dire partie de l’avoir national, et il ne peut diminuer sans que chaque Français ne se sente, en quelque sorte, un peu amoindri lui-même…

On passe donc Chantecler à M. Rostand en faveur de Cyrano. Combien de personnes, dont il reste cependant l’idole, ne reviennent-elles pas de Chantecler la tête basse, souffrant de cet échec comme d’une infortune personnelle, osant à peine s’avouer à elles-mêmes leur désillusion !