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LA LANGUE FRANÇAISE AU CANADA

que les nôtres, — de cerveaux à moitié noyés et dissous dans l’à peu près, vous ne tirerez pas plus, quoique vous fassiez, un langage précis, correct, français, en un mot, que vous ne ferez pousser des pommes excellentes sur un vieux pommier tout branlant et tout rabougri. En vain, vous armant des gaules formidables des Corrigeons-nous, taperez-vous à grands coups sur tous les fruits flétris du solécisme et du barbarisme, en vain même attacherez-vous de force aux branches — aux branches de notre arbre mental, — par ci par là, quelques fruits dérobés aux lointains vergers du bon langage, vous n’empêcherez pas que votre récolte, en somme, ne soit pitoyable. Non ! confrère, croyez-moi, ce ne sont pas les fruits qu’il faut soigner : c’est l’arbre ; ce n’est pas notre langage : c’est la mentalité qui le produit.

Ne me dites pas que voilà qui est trop ambitieux, et qu’en attendant le grand remède que je réclame on n’en doit pas moins accepter de plus modestes ; ne me dites pas que les vôtres sont en tout cas bien inoffensifs et que, s’ils ne font pas de bien, ils ne sauraient du moins faire de mal. Je vous réponds que tout remède qui ne fait pas de bien fait du mal, immanquablement, si, leurrant le malade d’une confiance trompeuse, il le détourne d’en rechercher d’efficaces. C’est par où tant de médicaments en