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le bonheur.

I

LE BONHEUR


Mes amis ont raison, j’aurais tort en effet
De me plaindre ; en tous points mon bonheur est parfait,
J’ai trente ans, je suis libre, on m’aime assez ; personne
Ne me hait ; ma santé, grâce au ciel, est fort bonne.
L’étude, chaque jour, m’offre un plaisir nouveau,
Et justement le temps est aujourd’hui très beau.
Quand j’étais malheureux, j’étais triste et maussade ;
J’allais au fond des bois, rêveur, le cœur malade,
Pleurer : c’était pitié ! J’aimais voir l’eau couler
Et briller ses flots purs et mes pleurs les troubler.
Mais maintenant je suis heureux, gai, sociable ;
J’ai l’œil vif et le front serein ; je suis aimable.
Le ruisseau peut courir à l’aise et murmurer ;
Dans son onde, à l’écart, je n’irai point pleurer.
Quand j’étais malheureux, souvent, lassé du monde.
Je m’abîmais au sein d’une extase profonde ;
Dans un ciel de mon choix mes sens étaient ravis,
Indicibles plaisirs de longs regrets suivis.
Maintenant j’ai quitté les folles rêveries ;
C’est pour herboriser que j’aime les prairies ;
A rêver quelquefois si je semble occupé,
C’est qu’un passage obscur en lisant m’a frappé.
Quand j’étais malheureux, je voulais aimer, vivre ;
Maintenant je n’ai plus le temps, je fais un livre.
Vous qui savez des chants pour calmer la douleur.
Pour calmer la douleur ou lui prêter des charmes,
Quand vos chants du malheur auront tari les larmes.
Consolez-moi de mon bonheur !