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BARTHÉLEMY (AUGUSTE-MARSEILLE).

Quand l’eau pure du lac se mêle avec le sable
Le cygne remonte et s’enfuit.

Honte à qui peut chanter pendant que Rome brûle,
S’il n’a l’âme et la lyre et les yeux de Néron !
Pendant que l’incendie en fleuve ardent circule
Des temples aux palais, du cirque au Panthéon !
Honte à qui peut chanter pendant que chaque femme
Sur le front de ses fils voit la mort ondoyer ;
Que chaque citoyen regarde si la flamme
Dévore déjà son foyer !

Honte à qui peut chanter pendant que les sicaires,
En secouant leur torche, aiguisent leurs poignards,
Jettent les dieux proscrits aux rires populaires,
Ou traînent aux égouts les bustes des Césars !
C’est l’heure de combattre avec l’arme qui reste,
C’est l’heure de monter au rostre ensanglanté,
Et de défendre au moins de la voix et du geste
Rome, les Dieux, la Liberté.

La Liberté !… ce mot dans ma bouche t’outrage ?…
Tu crois qu’un sang d’Ilote est assez pur pour moi,
Et que Dieu de ses dons fit un digne partage,
L’esclavage pour nous, la liberté pour toi ?
Tu crois que des Séjans le dédaigneux sourire
Est un prix assez noble aux cours tels que le mien,
Que le ciel m’a jeté la bassesse et la lyre,
À toi l’âme du citoyen ?

Tu crois que ce saint nom qui fait vibrer la terre,
Ce nom que l’ange envie aux généreux mortels,
Entre Caton et toi doit rester un mystère ;
Que les pavés vainqueurs sont les premiers autels ?
Tu crois que d’un chrétien ce mot brise la bouche,
Et que nous adorons notre honte et nos fers,