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Page:Frère Gilles - Les choses qui s'en vont, 1918.djvu/79

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LES CHOSES QUI S’EN VONT

être aussi pour imiter ses petites amies absentes, le moulin se laissait poser des ailes et préparer pour la saison des battages.

Cette saison de son annuelle activité s’ouvrait dans les premières semaines de l’hiver, avec un bon vent de nordais qui, s’il est bien franc, est — entre parenthèse et même sans parenthèse — le vent classique pour écorner les bœufs. Les préparatifs qu’il réclamait n’étaient d’ailleurs ni longs ni compliqués : enfoncer quelques carvelles, resserrer quelques coins. Après avoir huilé l’arbre de la grand’roue, il était prêt à marcher. Au premier bon vent, il n’y avait plus qu’à décotter le moulin. Alors l’une après l’autre, les fières vergues s’abaissaient, s’inclinaient jusqu’à terre, vaincues par la force impérieuse du vent, tandis qu’à l’intérieur de la grange retentissait un roulement de tonnerre dans une nuée de poussière. Les gerbes montaient sur le pont, pour redescendre dans la grand’passe en paille assouplie, tandis que dans l’ombre, le grain pleurait ses larmes d’or.