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IV

L’aube, du reste, commençait à poindre. Une lueur rose émergeait dans l’est, du côté de la France. Après avoir rôdé quelque temps à l’aventure, je gravis l’escarpement d’une roche déclive dont la base trempait dans la mer, et le spectacle dont je fus bientôt comme enveloppé était bien de nature à tenir éveillés des yeux moins curieux que les miens.

J’étais au centre des Écrehou, les dominant de toutes parts. Les trois îlots qui en forment le noyau, Blanque-Île, La Marmottière, Maîtresse-Île, commençaient à frissonner sous les premières clartés matinales. Ils s’allongeaient du nord au sud, sur une longueur de plusieurs kilomètres, entourés d’une forêt d’écueils dont aucune description ne saurait rendre l’étrangeté. La mer remontait à peine, en sorte qu’ils se dressaient de toute leur hauteur sur un circuit de deux ou trois lieues.

Tous ces monstres de granit de toute forme et de toute taille, les uns vêtus de varech jusqu’à la ceinture, chauves, hagards, blanchis de fientes d’oiseaux, les autres cuirassés d’écailles, plongeant leurs pieds dans des vallons de fucus, fauves, chevelus comme de vieux Gaulois, les obscurs et les célèbres, ceux dont les noms imagés prennent dans les récits des pêcheurs je ne sais quels profils vivants et redoutables : l’Étau, le Moulinier, la Noire, la Plate, le Trépied, les Deux-Rousses, la