Page:France - Opinions sociales, vol 2, 1902.djvu/18

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— Moi, c’est différent, répondit le docteur. Je n’ai pas besoin de croire en Dieu pour être un honnête homme. En matière de religion, comme savant, j’ignore tout ; comme citoyen, je crois tout. Je suis catholique d’État. J’estime que les idées religieuses sont essentiellement moralisatrices, et qu’elles contribuent à donner au populaire des sentiments humains.

— C’est une opinion très répandue, dit M. Bergeret. Et elle m’est suspecte par sa vulgarité même. Les opinions communes passent sans examen. Le plus souvent, on ne les admettrait pas si l’on y faisait attention. Il en est d’elles comme de cet amateur de spectacles qui pendant vingt ans entra à la Comédie-Française en jetant au contrôle ce nom : « feu Scribe ». Un droit d’entrée ainsi motivé ne supporterait pas l’examen. Mais on ne l’examinait pas. Comment penser que les idées religieuses sont essentiellement moralisatrices, quand on voit que l’histoire des peuples chrétiens est tissue de guerres, de massacres et de supplices ? Vous ne voulez pas qu’on ait plus de piété que dans les monastères. Pourtant toutes les espèces de moines, les blanches et les noires, les pies et les capucines se sont souillées des crimes les plus exécrables. Les suppôts de l’Inquisition et les curés de la Ligue étaient pieux, et ils étaient cruels. Je ne parle pas des papes qui ensanglantèrent le monde, parce qu’il n’est pas certain qu’ils croyaient à une autre vie.