Page:Freud - Introduction à la psychanalyse (trad. Jankélévitch), 1923.djvu/361

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de celle-ci. Ce n’est pas à cette morale que l’auditeur réagit, mais au sens et au contenu mystérieux de la légende. Il réagit comme s’il retrouvait en lui-même, par l’auto-analyse, le complexe d’Oedipe ; comme s’il apercevait, dans la volonté des dieux et dans l’oracle, des travestissements idéalisés de son propre inconscient ; comme s’il se souvenait avec horreur d’avoir éprouvé lui-même le désir d’écarter son père et d’épouser sa mère. La voix du poète semble lui dire : « Tu te raidis en vain contre ta responsabilité, et c’est en vain que tu invoques tout ce que tu as fait pour réprimer ces intentions criminelles. Ta faute n’en persiste pas moins puisque, ces intentions, tu n’as pas su les supprimer : elles restent intactes dans ton inconscient. » Et il y a là une vérité psychologique. Alors même qu’ayant refoulé ses mauvaises tendances dans l’inconscient, l’homme croit pouvoir dire qu’il n’en est pas responsable, il n’en éprouve pas moins cette responsabilité comme un sentiment de péché dont il ignore les motifs.

Il est tout à fait certain qu’on doit voir dans le complexe d’Oedipe une des principales sources de ce sentiment de remords qui tourmente si souvent les névrosés. Mieux que cela. dans une étude sur les commencements de la religion et de la morale humaines que j’ai publiée en 1913 sous le titre : Totem et Tabou, j’avais émis l’hypothèse que c’est le complexe d’Oedipe qui a suggéré à l’humanité dans son ensemble, au début de son histoire, la conscience de sa culpabilité, cette source dernière de la religion et de la moralité. Je pourrais vous dire beaucoup de choses là-dessus, mais je préfère laisser ce sujet. Il est difficile de s’en détacher lorsqu’on a commencé à s’en occuper, et j’ai hâte de retourner à la psychologie individuelle.

Que nous révèle donc du complexe d’Oedipe l’observation directe de l’enfant à l’époque du choix de l’objet, avant la période de latence ? On voit facilement que le petit bonhomme veut avoir la mère pour lui tout seul, que la présence du père le contrarie, qu’il boude lorsque celui-ci manifeste à la mère des marques de tendresse, qu’il ne cache pas sa satisfaction lorsque le père est absent ou parti en voyage. Il exprime souvent de vive voix ses sentiments, promet à la mère de l’épouser. On dira