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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

sa bannière, en grand’huée et en grand’foule de gens et de chevaux ; et adonc se recueillirent en la place, devant le moûtier, le vidame de Châlons et aucuns chevaliers et écuyers, et levèrent là leurs bannières et leurs penons, et montrèrent de fait bien semblant et courage d’eux combattre et tenir, tant que par honneur ils pourroient durer. Mais le sire de Vervins se partit, et sa bannière, sans arroi et sans ordonnance, et n’osa demeurer ; car bien savoit messire Jean de Hainaut si airé sur lui qu’il ne l’eût pris à nulle rançon. Si monta au plutôt qu’il put sur fleur de coursier et prit les champs.

Ces nouvelles vinrent à messire Jean de Hainaut que son grand ennemi, qui tant avoit porté de dommage en sa terre de Chimay, étoit parti et s’en alloit vers Vervins. Adonc le sire de Beaumont monta sur un coursier et fit chevaucher sa bannière et vuida Aubenton, en intention de raconsuir son ennemi. Ses gens le suirent qui mieux mieux, et les autres demeurèrent en la ville. Le comte de Hainaut et sa bataille se combattirent âprement et fièrement à ceux qui s’étoient arrêtés devant le moûtier. Là eut dur hutin et fier, et maint homme renversé et mis par terre ; et là furent très bons chevaliers le vidame de Châlons et ses trois fils, et y firent maintes belles appertises d’armes.

Entrementes que cils se combattoient, messire Jean de Hainaut et ses gens chassoient le seigneur de Vervins, auquel il avint si bien qu’il trouva les portes de sa ville toutes ouvertes, et entra dedans à grand’hâte ; et jusques là le poursuit sur son coursier, l’épée en sa main, messire Jean de Hainaut. Quand il vit qu’il étoit échappé et rentré en sa forteresse, si en fut durement courroucé, et retourna arrière vitement, tout le grand chemin d’Aubenton. Si encontrèrent ses gens les gens du seigneur de Vervins qui le suioient à leur pouvoir. Si en occirent et mirent par terre grand’foison et puis retournèrent dedans Aubenton. Si trouvèrent leurs gens qui jà avoient délivré la place de leurs ennemis ; et étoit pris le vidame de Châlons et durement navré, et morts deux de ses fils, ce jour faits chevaliers, et aussi plusieurs autres : ni oncques chevaliers ni écuyers n’en échappa, fors ceux qui se sauvèrent avec le sire de Vervins, qu’ils ne fussent tous morts ou pris, et bien deux cents hommes de la ville ; et fut toute pillée et robée, et tous les grands avoirs et profits qui dedans étoient chargés sur chars et charrettes et envoyés à Chimay. Avec tout ce la ville d’Aubenton fut toute arse ; et se logèrent ce soir les Hainuyers sur la rivière, et lendemain ils chevauchèrent devers Maubert-Fontaines[1].


CHAPITRE CIV.


Comment le comte Hainaut donna congé à ses gens, et comment il monta sur mer pour aller en Angleterre.


Après la destruction d’Aubenton, ainsi que vous avez ouï, s’acheminèrent les Hainuyers et leur route devers Maubert-Fontaines. Sitôt qu’ils y parvinrent, ils la conquirent, car il n’y avoit point de défense ; et la pillèrent et robèrent, et depuis l’ardirent : après, la ville d’Aubencueil, et Segny le grand[2] et Segny le petit, et tous les hameaux et villages de là environ, dont il en y eut plus de quarante. Ainsi se coritrevengèrent à ce commencement les Hainuyers des dommages que on leur avoit faits, tant en la terre de Chimay, comme à Haspre. Mais depuis les François leur firent cher comparer, si comme vous orrez avant en l’histoire ; mais que vous le veuilliez lire ou écouter.

Depuis cette chevauchée faite, le comte de Hainaut se traist devers la ville de Mons et donna congé à toutes manières de gens d’armes, et les remercia grandement et bellement chacun de son bon service ; et fit tant que chacun se partit bien content de lui et s’en ralla chacun en son lieu.

Assez tôt après il vint en volonté et propos audit comte d’aller ébattre en Angleterre et faire certaines alliances au roi d’Angleterre son serourge, pour être plus fort en sa guerre ; car bien pensoit et disoit que ainsi la chose ne pouvoit demeurer, que le roi son oncle ne fît aucune armée contre lui ; et pour être plus fort, bon lui sembloit et à son conseil aussi, qu’il eût l’amour et l’alliance des Anglois, des Flamands et des Brabançons. Si manda ledit comte tout son conseil à Mons en Hainaut, et leur remontra son entente ; et ordonna et institua là son oncle à être baulx et gouverneur de Hainaut, de Hol-

  1. Bourg à trois lieues d’Aubenton.
  2. Signy-le-Grand est vraisemblablement le village construit autour de l’ancienne abbaye de ce nom, entre Rethel et Rocroy. Signy-le-Petit est au sud-ouest de cette dernière ville, à une très petite distance.