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LIVRE II.

Si se départirent du siége d’Audenarde et retournèrent à Tournay ; et puis recordèrent tout ce que vous avez ouï. Adonc fut faite une défense que nul n’allât ni marchandât à ceux de Flandre, sur peine de être en l’indignation du roi. Toutefois les bourgeois de Tournay qui étoient prisonniers à Bruges revinrent ; et ceux de Courtray furent renvoyés. Ainsi n’osoit nul marchand de Tournay marchander aux Flamands ; mais quand ils vouloient avoir des marchandises de Flandre, ils les venoient quérir ou acheter à ceux de Valenciennes ; car ceux de Hainaut, de Hollande, de Zélande, de Brabant et de Liége pouvoient sûrement aller, demeurer et marchander par toute la comté de Flandre.

Ainsi se tint le siége devant Audenarde grand et bel ; et toute celle saison, Philippe d’Artevelle et ceux de Gand étoient logés sur le mont d’Audenarde, au lez devers Hainaut, et là séoient les engins, et la grande bombarde qui jetoit les grands carreaux et qui rendoit telle noise que, au descliquer, on l’oyoit de six lieues loin. Ens ès prés dessous avoit un pont sur l’Escaut, de nefs et de cloyes, couvert d’estrain et de fiens, et par delà ce pont étoient logés ceux de Bruges, en remontant sur les champs outre la porte de Bruges. Après, étoient logés ceux de Yppre, de Courtray, de Pourpringhes, de Cassel et du Franc de Bruges ; et comprenoient le tour de la ville en rallant jusques à l’autre part de l’Escaut. Ainsi étoit toute la ville d’Audenarde environnée ; et cuidoient bien par tel siége les Flamands conquerre et affamer ceux de dedans ; mais à la fois les compagnons issoient et faisoient des envaies : une heure perdoient, l’autre heure gagnoient, ainsi comme à tels besognes les faits d’armes adviennent. Mais toutefois d’assauts n’y avoit-il nuls faits ; car Philippe ne vouloit point follement aventurer ses gens ; et disoit que, tout sans assaillir, ils auroient la ville, et que par raison elle ne se pouvoit tenir longuement, quand ils n’étoient confortés, ni ne pouvoient être de nul côté ; ni à peine ne volât mie un oiselet en Audenarde, que il ne fût vu de ceux de l’ost, tant bien avoient-ils environné la ville de tous lez.


CHAPITRE CLXX.


Comment le roi de France envoya trois évêques vers Flandre pour mieux entendre l’état des Flamands ; comment ils y besognèrent ; et comment ils trouvèrent les Flamands opinatifs et arrogants contre leur seigneur souverain et contre leur naturel seigneur.


Or retournerons au roi de France et à son conseil. Les oncles du roi et les consaulx de France avisèrent pour le mieux que ils envoieroient à Tournay aucuns chevaliers et prélats du royaume, pour traiter à ces Flamands et pour savoir plus pleinement leur entente. Si furent élus et ordonnés, pour venir à Tournay, Miles de Dormans, évêque de Beauvais, l’évèque d’Auxerre, l’évêque de Laon, messire Guy de Honcourt et messire Tristan du Bois ; et vinrent ceux à Tournay, comme commissaires de par le roi de France, et là s’arrêtèrent. Quand ils furent là venus, assez nouvellement étoient retournés de devant Audenarde, Jean Bon-enfant et Jean Picard, qui remontrèrent à ces prélats et chevaliers, commissaires du roi, comment Philippe d’Artevelle, au congé prendre, leur avoit dit que les Flamands n’entendroient jamais à nul traité, jusques à tant que Audenarde et Tenremonde leur seroient ouvertes. « Bien, répondirent les commissaires ! si cil Philippe, par orgueil et bobant dont il est plein, fait sa grandeur, espoir n’est-ce pas l’accord des bonnes villes de Flandre ; si écrions à Gand, à Bruges et à Yppre ; et envoyons, de par nous, à chacune ville, une lettre et un messager : par aucune voie faut-il entrer ens ès choses, puisque on les veut commencer ; et nous ne sommes pas ici venus pour guerroyer, mais pour traiter envers ces maudits Flamands. » Adonc escripsirent cils commissaires trois lettres aux trois villes principales de Flandre ; et y mettoient en chacune Philippe d’Artevelle en ligne et au premier chef. Si contenoient ces lettres ce qui s’en suit :

« À Philippe d’Artevelle et à ses compagnons et aux bonnes gens des trois bonnes villes de Flandre et au Franc de Bruges.

« Plaise vous savoir que le roi, notre sire nous a envoyés en ces parties en espèce de bien, pour paix et accord faire, comme souverain seigneur, entre noble prince monseigneur de Flandre, son cousin, et le pays de Flandre. Car commune renommée cuert que vous quérez à