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LIVRE II.

viennent avecques nous devant Saint-Omer, ou Aire, ou devant Arras, et là où nous les voudrons mener. Et quand ils se verront ainsi requis, par cette requête saurons-nous leur intention, et sur ce aurons avis et conseil. »

Cil propos fut tenu, et un héraut appelé qui se nommoit Montfort ; et étoit héraut au duc de Bretagne ; et lui fut dit de par les seigneurs que il chevauchât vers ces Flamands, et l’informèrent de tout ce que il devoit dire et faire, et comment il se pourroit maintenir. À leurs paroles il obéit, ce fut raison, et alla parler à eux.

Adonc se départit le héraut de ses seigneurs, vêtu d’une cotte d’armes, ainsi comme à lui appartenoit ; et n’y pensoit nul mal, et s’en alloit vers ces Flamands qui se tenoient tous ensemble en une belle bataille. Et étoit cil pourvu et avisé toujours de bien faire son message ; et se vouloit adresser vers aucuns chevaliers qui là étoient : mais il ne put ; car si très tôt que il approcha, ces Flamands, sans lui demander quelle chose il quéroit, ni où il alloit, ni à qui il étoit, l’enclouirent et là l’occirent comme folle gent et de petite connoissance ; ni oncques les gentilshommes qui là étoient ne le purent sauver.

Quand les Anglois en virent le convenant, qui avoient l’œil à lui, si en furent tous forcenés. Aussi furent les bourgeois de Gand qui là étoient et qui désiroient à émouvoir la besogne parquoi un nouveau touillement se remit en Flandre. Adonc dirent-ils tous d’une voix, l’évêque et les chevaliers : « Allons, allons ! celle ribaudaille ont tué notre héraut ; mais il leur sera cher comparé, ou nous demeurerons tous sur la place. » Adonc tirent-ils passer outre et avant leurs archers et approcher ces Flamands. Là fut fait un bourgeois de Gand, qui s’appeloit Louis de Bors, chevalier. Et tantôt se commença la bataille dure et merveilleuse ; car au voir dire ces Flamands se mirent grandement à défense : mais ces archers les commencèrent au traire à verser et à mener mallement ; et ces gens d’armes entrèrent en eux, à lances afilées qui de première venue en abattirent grand’foison. Finablement les Anglois pour ce jour obtinrent la place, et furent là les Flamands déconfits ; et se cuidèrent recouvrer par entrer en Dunquerque ; mais les Anglois, en les reculant et chassant, les menèrent si dur et si roide que ils entrèrent avecques eux en la ville ; et là eu y ot sur les rues et sur la marine grand’foison de morts. Aussi ils se vendirent moult bien ; car ils occirent plus de quatre cents Anglois, et furent trouvés depuis, ci dix, ci douze, ci vingt, ci trente, ainsi comme ils enchassoient les Flamands ; et les Flamands se reculoient, et à jeu parti ils les combattoient et occioient. Les chevaliers et les écuyers de Flandre qui là étoient, planté ne fut-ce pas, se sauvèrent, ni il n’en y ot que cinq ou six morts ou pris. Ainsi alla de celle besogne et du rencontre qui fut ce jour à Dunquerque, où il y ot bien morts neuf mille Flamands.

Ce propre jour de la bataille[1] étoient retournés en la ville de Lille et vers le comte de Flandre messire Jean Vilain et messire Jean Moulin, et avoient fait leur relation au comte, telle comme ils l’avoient ouïe et vue des Anglois à Mardique. Si en étoit le comte tout pensif pour savoir comment il s’en cheviroit. Encore le fut-il plus, et bien y ot cause, quand les nouvelles lui vinrent que ses gens étoient morts et déconfits à Dunquerque, et la ville prise : si s’en porta-t-il assez bellement et conforta ; faire lui convenoit. Et dit quand les nouvelles lui en vinrent : « Si nous avons perdu celle fois, nous gagnerons une autre. »

Tantôt et sans délai toutes ces nouvelles il escripsit et envoya couvertement devers son fils le duc de Bourgogne, qui se tenoit devers le roi en France, afin que il eût sur ce avis ; car bien imaginoit, puisque les Anglois avoient celle entrée en Flandre et rué ainsi jus ses gens, que ils ne s’en passeroient pas si brièvement, mais feroient encore sur le pays plusieurs choses. Le duc de Bourgogne, quand il en fut avisé et informé, envoya chevaliers et écuyers par tout en garnison sur les frontières de Flandre, à Saint-Omer, à Aire, à Saint-Venant, à Bailleul, à Berghes, à Cassel et par toutes les chastelleries pour garder les entrées d’Artois. Or dirons des Anglois comment ils persévérèrent.

  1. Suivant les chroniques de l’époque, cette bataille eut lieu le 15 mai 1383.