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LIVRE II.

Je fus adonc informé que le comte de Flandre, par la parole de l’évêque du Liége, offroit à l’évêque de Norduich et aux Anglois que ils se voulsissent déporter de tenir le siége devant Yppre, et aller autre part faire guerre raisonnable sur les Clémentins, et il le feroit servir de cinq cents lances, trois mois tout pleniers, à ses dépens. L’évêque de Norduich et les Anglois répondirent que ils s’en conseilleroient volontiers. Ils s’en conseillèrent et parlèrent ensemble ; et là eut plusieurs paroles retournées ; car ceux de Gand disoient que nullement on n’eût trop grand’fiance ès paroles du comte ni en ses promesses ; car il les honniroit si il pouvoit : si que, tout considéré, on répondit à l’évêque que il se pouvoit bien retraire quand il lui plairoit, et que de ses requêtes on n’en feroit nulles, et que du siége où ils étoient ils ne se partiroient si auroient la ville de Yppre en leur commandement. Quand l’évêque vit que il ne exploiteroit autrement, si prit congé et s’en retourna à Lille, et fit sa réponse au comte ; et quand le comte vit que il n’en auroit autre chose, si fut plus pensif que devant ; et aperçut bien adonc tout clairement que si la puissance du roi de France ne levoit le siége, il perdroit la bonne ville de Yppre. Si escripsit tantôt toutes ces réponses et en paroles en lettres, et les envoya par un sien chevalier devers son fils et sa fille de Bourgogne qui se tenoient à Compiègne ; et l’évêque du Liége se partit du comte, et s’en retourna par Douay et par Valenciennes en son pays arrière.


CHAPITRE CCX.


Comment le roi de France assembla grand’armée pour aller lever le siége de Yppre tenu par les Anglois ; et de plusieurs rencontres qui y furent.


Le duc de Bourgogne se tint pout tout informé que les choses iroient et se porteroient mal en Flandre, si le roi de France et sa puissance n’y pourvéoit de remède. Si fit tant que un grand parlement fut assigné à être à Compiègne de tous les hauts barons et princes du royaume de France. À ce parlement furent et vinrent tous ceux qui mandés y furent ; et personnellement le duc de Bretagne y fut et plusieurs hauts barons de Bretagne. Là fut parlementé et conseillé : que le roi de France, par l’accord de ses oncles, le duc de Berry, le duc de Bourbon et le duc de Bourgogre, venroit en Flandre aussi étoffément ou plus que quand il fut à Rosebecque ; et lèveroit le siége de devant Yppre, et combattroit les Anglois et les Flamands, si ils l’attendoient. Toutes ces choses confirmées et accordées, le roi de France fit un mandement général par tout son royaume : que chacun, pourvu ainsi comme il appartenoit à lui, le quinzième jour d’août, fût à Arras, ou là environ ; et escripsit le roi aux lointains, tel que au comte d’Armignac, au comte de Savoie et au duc Frédéric de Bavière : ce duc étoit de la haute Allemagne, et fils de l’un des frères au duc Aubert, et grandement il se désiroit à armer pour les François, et de venir en France, et de voir l’état de France, car il aimoit tout honneur, et on lui avoit dit, si s’en tenoit pour tout informé, que tout honneur et chevalerie étoient et sont en France. Et pour ce que ce duc Frédéric étoit de lointain pays, il en fut signifié premièrement. Si fit ses ordonnances sur ce et dit que il venroit par Hainaut voir son oncle et ses cousins le comte de Blois et autres.

Entrementes que ce grand et espécial mandement du roi de France se faisoit, et que ces seigneurs partout s’appareilloient, se tenoit le siége devant Yppre grand et fort ; et y ot fait plusieurs assauts et escarmouches et des blessés des uns et des autres ; mais le capitaine de Yppre, messire Pierre de la Sieple, ensoigna si vaillamment que nul dommage ne s’y prit.

Le siége étant devant Yppre, avint que le comte de Flandre, qui se tenoit à Lille, fut informé que le moûtier de la ville de Menin étoit fort et remparé, et que si les Anglois y venoient, de léger ils le prendroient, car il n’étoit point gardé ; et feroit grand dommage au pays : si ot conseil le comte que il l’envoieroit désemparer. Si appela messire Jean Moulin et lui dit : « Messire Jean, prenez des hommes de cette ville et des arbalêtriers et allez jusques à Menin et désemparez le moûtier, que les Anglois n’y viennent et le prennent et le fortifient ; car si ils faisoient ainsi, ils grèveroient le pays de ci environ. » Messire Jean répondit que c’étoit raison que il obéît et que il iroit volontiers. Sur ce il ordonna ses besognes et monta à lendemain au matin à cheval, et avecques lui un jeune chevalier, fils bâtard au comte de Flandre, qui s’appelloit messire Jean-sans-Terre ; et pouvoient bien être environ quarante lances et soixante