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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

saulx, messire Guy de la Trémoille et messire Jean de Vienne, lui conseilloient ; et aussi faisoient le connétable de France et le sire de Coucy : si répondit au chevalier : « Je ferai tout ce que vous ordonnez : et retournez devers ceux qui ci vous envoient. » Adonc lui demanda le duc si François Acreman avoit été à ces traités. Il répondit : « Monseigneur, nennil ; il est gardien du chastel de Gavre, je ne sçais si ils voudroient que il en sçût rien. » — « Dites-leur, ce dit le duc, qu’ils lui en parlent hardiment ; car il ne me portera nul contraire : je sens et entends qu’il désire grandement de venir à paix et à amour à moi. » Tout ce que le duc dit, le chevalier fit ; et retourna à Gand et apporta ces deux bonnes nouvelles, tant qu’ils s’en contentèrent ; et puis alla à François Acreman au chastel de Gavre, et se découvrit de toutes ses besognes secrètement à lui. François répondit, après ce qu’il ot pensé un petit, et dit liement ; « Là où monseigneur de Bourgogne voudra tout pardonner et la bonne ville de Gand tenir en ses franchises je ne serai jà rebelle, mais diligent grandement de venir à paix. » Le chevalier se partit de Gavre et de François et s’en retourna en France devers le duc de Bourgogne, et lui remontra tout son traité. Le duc l’ouït et l’entendit volontiers ; et escripsit lettres ouvertes et lettres closes, qui furent scellées de son scel, moult douces et moult amiables à ceux de Gand adressants. Et les apporta le chevalier, et retourna en Flandre, et vint à Gand ; mais il n’avoit point les lettres adoncques avecques lui, mais il s’en fit fort à sire Roger Eurewin et à sire Jacques d’Ardembourch par lesquels la chose étoit toute demenée. Or regardez le grand péril où le chevalier et eux se mettoient ; car, si par nulle suspeccion ni par quelconque autre voie, messire Jean le Boursier ou Piètre du Bois l’eussent sçu, il n’étoit rien de leurs vies. Oncques chose périlleuse ne fut plus sagement demenée ; et Dieu proprement y ouvra.

Or dirent sire Roger Eurewin et sire Jacques d’Ardembourch à messire Jean Delle : « Vous viendrez jeudi, en cette ville, sur le point de neuf heures, et apporterez avecques vous les lettres de monseigneur de Bourgogne ; si les montrerons, si nous pouvons venir à notre entente, à la communauté de Gand et leur ferons lire ; parquoi ils y ajouteront plus de foi et de créance ; car à l’heure que nous vous disons nous serons tous seigneurs de la ville ou tous morts. Si vous oez dire, à l’entrer en la ville, que nous soyons au-dessous, vous n’y aurez que faire d’entrer, mais retournerez-vous du plutôt que vous pourrez ; car si on trouvoit les lettres sur vous, si vous aviez mille vies, si seriez-vous mort. Et si vous oez dire que nos choses soient en bon point, si venez hardiment avant, vous serez liement recueilli. » Messire Jean Delle répondit que ainsi seroit fait. Atant fina leur conseil ; et ce fut le lundi : si se départirent l’un de l’autre, et s’en alla chacun en son hôtel. Et messire Jean Delle vida la ville, tout informé et avisé de ce qu’il devoit faire. Les deux dessus nommés entrèrent en grand soin pour traire leur besogne à bon chef ; et s’ensonnièrent le mardi et le mercredi d’aller et de parler à leur plus féables amis, les doyens des métiers ; et tant firent qu’ils en orent grand’quantité de leur accord. Et avoient l’ordonnance que ce jeudi, sur le point de huit heures, ils se départiroient de leurs hôtels, la bannière du comte de Flandre en leur compagnie, et auroient un cri en criant : « Flandre au Lion ! Le seigneur au pays ! paix en la bonne ville de Gand, quittes et pardonnés tous maléfices faits ! » Oncques ne purent les dessus dits celle chose demener si sagement ni si secrètement que Piètre du Bois ne le sçût. Sitôt qu’il en fut informé, il s’en vint devers messire Jean le Boursier, le souverain capitaine pour lors de par le roi d’Angleterre, et lui dit : « Sire, ainsi et ainsi va ; Roger Eurewin et Jacques d’Ardembourch doivent demain, sur le point de huit heures, venir au marché, la bannière de Flandre en leurs mains, et doivent là parmi la ville crier : « Flandre au lion ! Le seigneur au pays ! paix en la bonne ville de Gand et tenue en toutes ses franchises ! et quittes et pardonnés tous maléfices faits. Ainsi serons-nous et le roi d’Angleterre, si nous n’allons au devant, boutés hors de nos juridictions. » — « Et quelle chose, dit le sire de Boursier, est bonne à faire ? » — « Il est bon, dit Piètre, que demain au matin nous nous assemblons en l’hôtel de la ville ; et faites armer toutes vos gens ; et nous en venrons fendants parmi la ville, les bannières d’Angleterre en notre compagnie, et crierons ainsi : « Flandre au Lion ! le roi d’Angleterre au pays ! paix et seigneur en la ville de Gand ! et meurent tous les