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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

Sur celle condition ils prindrent congé et se départirent du duc, et s’en vinrent à Hantonne, et trouvèrent leur nef qui là les attendoit. Si entrèrent dedans et singlèrent en mer, car ils orent vent à leur volonté. Si entrèrent en la haute mer d’Espaigne, et furent dedans cinq jours au hable du Port de Portingal ; et à ce jour le roi de Portingal y étoit, qui ot grand’joie de leur venue.

Là recordèrent au roi le grand maître de Saint-Jacques et Laurentien Fougasse tout ce que ils avoient vu et trouvé en Angleterre, tant par le roi comme de par ses oncles, et montrèrent leurs lettres qui certifioient tout.

Ne demeura guères de temps depuis, que le roi de Portingal, qui grandement désiroit à avoir l’aide et le confort du roi d’Angleterre, pour donner doute et cremeur aux Castelloings, mit son conseil ensemble ; et là fut déterminé et délibéré que maître Alfonse Vretat[1] souverain patron et maître de toutes les navires et gallées de Portingal, feroit armer et apprêter sept gallées et dix-huit grosses nefs, et les amèneroit en Angleterre pour aller quérir le duc de Lancastre. Si fut appelé maître Alfonse, et lui fut dit que il se délivrât de ordonner les gallées et les nefs, et se partît de Portingal et allât en Angleterre. Alphonse Vretat ne séjourna guères depuis, mais fit tout ce que commandé lui fut. Et se partit un jour du Port de Portingal et se mit en mer avec l’armée. Ils orent vent à volonté ; ils furent en six jours à Bristo, et là entrèrent. Pour ce temps étoient tous les seigneurs d’Angleterre ou en partie en la marche de Galles, car le roi s’y tenoit. Des nouvelles fut le duc de Lancastre tout réjoui, et avança ses besognes. Jà étoient escripts et mandés chevaliers et escuyers qui devoient aller en Portingal avecques lui, et se tenoient tous sur le pays ; et aussi faisoient les archers, au hable et au port de Bristo, où avoit bien deux cents vaisseaux tout appareillés pour le duc et pour ses gens parmi l’armée de Portingal : et étoit l’intention du duc que il emmèneroit avec lui femme et enfans, et feroit mariage en Castille et en Portingal avant que il retournât ; car il ne vouloit pas sitôt retourner ; et bien y avoit cause, car il véoit les besognes d’Angleterre dures, et le roi son neveu, jeune, et avoit avecques lui périlleux conseil ; pourquoi il s’en départit plus volontiers.

Avant son département, en la présence de ses frères, il ordonna son fils, monseigneur le comte de Derby, lieutenant de tout ce qu’il avoit en Angleterre, et mit avecques lui sage et bon conseil. Le fils étoit pour lors beau chevalier et jeune, et avoit été fils de madame Blanche, la très bonne duchesse de Lancastre ; avecques sa mère, madame la roine Philippe d’Angleterre, je ne vis oncques deux meilleures dames ni de plus noble condition, ni ne verrai jamais, et vesquisse mille ans, ce qui est impossible de non vivre.

Quand le duc Jean de Lancastre ot ordonné toutes ses besognes en Angleterre et il ot pris congé au roi et à ses frères, il s’en vint à Bristo, et fut là quinze jours. Endementres la navie se chargea et appareilla ; et furent mis ens ès navires et ballenières plus de deux mille chevaux, lesquels avoient pourvéance de foin, d’avoine, litière et d’eau douce bien et largement. Si entra le duc de Lancastre en une gallée armée durement, belle et grande ; et avoit de-lez lui sa grosse nef pour son corps et pour la duchesse sa femme, qui de grand courage alloit en ce voyage, car elle espéroit bien à recouvrer son héritage de Castille et être roine avant son retour ; et avoit la duchesse sa fille, qui s’appeloit Catherine, et de son premier mariage deux autres fille, Ysabel et Philippe, laquelle Philippe étoit à marier. Mais Ysabel étoit mariée à messire Jean de Hollande, qui étoit là connétable de tout l’ost[2], et maréchal messire Thomas Moriaux, lequel avoit aussi par mariage une de ses filles à femme ; mais elle étoit bâtarde et fut mère à la dame Morielle, damoiselle Marie de Saint-Hilaire de Hainaut ; et étoit amiral de la mer de toute la navie du duc de Lancastre messire Thomas de Persy.

Là étoit messire Yvon Fits Warin, le sire de Lussy[3], messire Henry de Beaumont, le sire de Pounins[4], messire Jean de Bruvellé[5], le sire de Talbot, le sire de Basset, messire Guillaume de Beauchamp, messire Guillaume de Windesore,

  1. Affonso Furtado, qui avait été nommé capitaò mor do mar (amiral à l’avénement de D. Jean à la couronne ?)
  2. Il fut créé plus tard comte de Huntingdon et duc d’Exeter.
  3. Lucy.
  4. Poynings.
  5. Beverly.