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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

n’en osoient rien faire, ni lever nulle taille au pays.

Le Dauphin d’Auvergne, à la prière et requête du comte d’Ermignac, se mit en chemin, et exploita tant par ses journées qu’il vint à Paris. Pour le temps n’y étoit point le roi, mais se tenoit à Rouen ; et convint le Dauphin d’Auvergne là aller. Si remontra toutes ces choses et ces traités au roi et à son conseil. Il ne fut pas si tôt délivré ; car les seigneurs qui clair véoient, et qui telles manières de gens ressoignoient, escrutinoient sur cel état et ces traités, et disoient ; « Comte Dauphin, nous savons bien que le comte d’Ermignac et vous, verriez très volontiers l’honneur et profit du royaume, car part y avez et belles terres y tenez. Mais nous doutons trop fort que, quand ces capitaines Gascons, Béarnois, Foissois, Ermignacs et autres gens, auront pris et levé telle somme de florins comme les compositions montent, et les pays en sont appovris et affoiblis, que dedans trois ou quatre mois après ils ne retournent, et ne fassent pire guerre et plus forte que devant, et ne se reboutent de rechef dans les forts. »

Là disoit le comte Dauphin, et répondoit à ce, aux oncles du roi et aux chevaliers de France, dont il étoit examiné : « Messeigneurs, c’est bien l’intention de nous, la taille faite et l’argent cueilli et mis ensemble à Clermont ou à Riom, que jà il ne sera mis outre, jusques à tant que nous serons sûrs et certifiés de toutes ces gens. » — « C’est bien notre intention, répondirent les, ducs de Berry et de Bourgogne. Nous voulons bien que l’argent soit levé et assemblé, et mis en certain lieu au pays ; à tout le moins en seront-ils guerroyés s’ils ne veulent venir à amiable traité. Si que, le comte d’Ermignac et vous, et l’évêque de Clermont, et l’évêque du Puy, vous retournés par-delà, entendez-y pour votre honneur et pour le plus grand profit du pays. » — « Volontiers, » répondit le comte Dauphin.

Sur cel état se départit de la cité de Rouen, du roi et de ses oncles, le Dauphin d’Auvergne ; et retourna arrière en Auvergne, et trouva le comte d’Ermignac et Bernard d’Ermignac son frère, à Clermont en Auvergne, et grand’foison des seigneurs du pays qui attendoient sa venue. Il leur raconta tout ce qu’il avoit trouvé et exploité, de mot à mot ; et les doutes que le roi et son conseil y mettoient ; et comme on vouloit bien que la taille fût levée et faite, et l’argent assemblé, et mis en certain lieu, tant qu’on verroit la vraie fin de ces pillards qui tenoient forts, chastels et garnisons du royaume. « C’est bien notre intention, répondit le comte d’Ermignac ; et, puisqu’il plaît au roi et à son conseil, nous exploiterons outre : mais il nous faudroit, pour toutes sûretés, prendre et avoir une bonne sûre trève à eux : pour quoi le pays se pût assurer et pourvoir contre la taille qu’on fera. » Donc furent ambassadeurs de par le comte d’Ermignac embesognés, pour aller sûrement parlementer à Perrot le Béarnois et à Aimerigot Marcel. Ces deux étoient ainsi que souverains des forts de par-deçà la Dordogne, avec le Bourg de Compane, Bernard des Iles, Olin Barbe, Apton Seguin, le seigneur de Lane-Plane et moult d’autres. Ces capitaines ne se pouvoient accorder ensemble, car ce que l’un vouloit une semaine, l’autre le dévouloit : et si vous en montrerai la raison. Ils étoient de diverses opinions et de divers pays. Les Ermignacs, qui tenoient aucunes choses du comte d’Ermignac, obéissoient assez légèrement ; mais tous ne se pouvoient incliner par eux. Car la greigneur partie ; et les plus rusés de pillerie, et les plus renommés tant que des capitaines, étoient de Béarn et de la terre du comte de Foix.

Je ne dis mie que le comte de Foix ne voulsist bien l’honneur et l’avancement du royaume de France : mais, quand les nouvelles lui vinrent premièrement comment on traitoit sus ces routes qui tant de forts tenoient ès terres d’Auvergne, de Quersin, de Rouergue et de Limosin, il y put trop bien entendre, et s’en volut très bien informer pour en savoir toute la substance ; et demandoit à tous ceux qui l’en informoient, et qui aucune chose en savoient ou cuidoient savoir, quelle chose le comte d’Ermignac mettoit avant ; et tous ces forts délivrés, et les capitaines et leurs gens partis et mis hors de leurs garnisons, où ils se retrairoient, ni quel chemin ils tiendroient, et s’il avoit intention que de s’en ensoigner. On lui dit : « Monseigneur ouï. C’est l’intention du comte d’Ermignac, qu’il veut retenir à ses coustages, tous ceux qui de ces forts partiront, et les mener en Lombardie, car son beau-frère, qui a par mariage, vous le savez aussi assez, sa belle sœur, laquelle avoit jadis épousé Gaston votre fils, en a grandement à