Page:Froissart - Les Chroniques de Sire Jean Froissart, revues par Buchon, Tome III, 1835.djvu/459

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
453
D’UNE PARTIE DU PREMIER LIVRE.

lendemain se rendirent salve leurs vies et le leur. Mais si furent ils prisonniers à monseigneur Robert d’Artois qui ne leur fist mie toute loyalté.

CHAPITRE CXV.

Quand la ville de Blayes fu ainsi reprise, François qui estoient en Miremont furent moult courrouchiés. Messire Robert viseta la ville, pour veoir s’elle estoit à tenir ; et bien vit que oyl, mais qu’elle fust bien pourvéue et avitaillée. Si le fist bien pourvéir de ce qu’il appartenoit, et le fist bien raparillier de murs et de fossés ; et y fist revenir plenté de peuple qui partis s’en estoient. Et ainsi qu’il estoit séjournans à Blayes et que le conte d’Ermignac et le conte de Fois séoient devant Miremont, deux évesques, c’est assavoir celui de Santes et de Poitiers, alèrent traitier de l’un lez à l’autre, tant que unes trieuwes furent accordées de ung an à durer ; et parmy ce se defist le siége, et se tenoit chascun à ce qu’il avoit conquis. Et ainsi s’en ralèrent François en France et les Englès en Engleterre. Se recorda messire Robert d’Artois au roy Englès tout ce qui leur estoit advenu. Si fu rechus à grant joie ; et le tint le roy à léal chevalier et de bon conseil.

CHAPITRE CXVI.

Or revenons à la matière des Flamens. Vous avez bien oy ci dessus comment le roy leur avoit clos les pas de mer, ne qu’ils ne pooient avoir marchandises ; de quoy tout le pays estoit esmeus et esbahis. Et murmuroient loing et près ; et espécialment les bonnes villes disoient, qu’ils comparoient amèrement l’amour que le conte leur seigneur avoit si grande au roy de France ; car par lui estoient-ils en ce dangier à l’encontre du roy d’Engleterre. Si seroit mieulx le commun prouffit d’être bien des Englès que des François. « Vray est que des François nous viennent bleds, mais il convient avoir de quoy à achater et paier ; et muy de blé à denier dolent celui qui ne l’a. Mais d’Engleterre nous viennent laines et grans prouffis pour avoir les vivres, et tenir grans estas et vivre en joie ; et du pays de Haynnau nous venroit assez blés, nous à eux d’accord. » Ainsi de plus en plus s’esmurent fort, et espécialment à Gand. Si s’assembloient par places et carfours, et devisoient en moult de diverses manières ; et plainement disoient que ce ne se pooit longuement soustenir ; car s’un poy longuement ceste chose duroit, le peuple de Flandres yroit à perdicion.

CHAPITRE CXVII.

Or sceut le conte de Flandres que ses gens murmuroient sur luy. Si les appaisoit ce qu’il pooit, et leur disoit : « Mes bonnes gens, sachiés que ceste chose ne peut durer longuement ; car j’ay nouvelles souvent, et par mes amis, que les Englès sont en plus grant discort que vous n’estes ; car il ne pevent vendre leurs laines fors à vous, se ce n’est à leur trop grant dommage. Si vous appaisiés de ce noble pays de France, dont tant de biens habondent. » Ainsi les appaisoit et faisoit appaisier par aucuns de ses amis ; mais nientmains le peuple estoit si batus de celle disette, qu’il ne s’en pooit appaisier ; pourquoy ils s’esmouvoient de jour en jour plus que devant ; et si n’avoit si hardy d’eulx qui osast emprendre le fais, pour le cremeur du conte. Si demoura ainsi grant temps. Enfin s’asamblèrent par grant foules, et dirent que plus n’atenderoient. En ce temps avoit ung bourgeois à Gand, brasseur de miel, lequel par pluiseurs fois parloit bien sagement au gré de pluiseurs. Si l’appeloit-on Jacquemon d’Artevelle. Si reprinrent aucuns hommes ses parolles aux aultres ; et dirent qu’il estoit un très sages homs ; et dirent qu’il avoit dit que, s’il estoit oys et creus, il cuideroit en brief temps avoir remis Flandres en bon estat, et r’aroient tout leur gaignage, sans estre mal du roy de France ne du roy d’Engleterre. Ces parolles multeplièrent tant que li quars ou la moitié de le ville en fu infourmés. Lors se commencèrent à sassambler ; et tant que une feste, après disner, il se mirent ensamble plus de mille ; et appeloient l’un l’autre à leurs maisons, en disant : « Alons, alons oyr le bon conseil du saige homme. » Et vinrent à le maison du dit Jacquemon, qu’il trouvèrent appoiant à son huis. De si long qu’ils le perchurent, il lui firent grant révérence et honneurs, et dirent : « Chier seigneur, veulliés nous oyr. Nous venons à vous à conseil ; car on nous dist que les grans biens et sens de vous remettra le pays de Flandres en bon point. Si nous dittes comment, et vous ferez aumosne. » Lors s’avancha Jacques d’Artevelle, et dist : « Seigneurs