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LIVRE IV.

droit et par raison être, car la charte de la trève entre France et Angleterre y avoit été publiée par tous les forts, et aux capitaines qui guerre d’Anglois faisoient ; et leur étoit dit, montré et éclairci vivement, et à tous ceux qui l’enfrindroient et briseroient, ni violeroient point ni article qui en la dite charte de trève fut écrit et contenu, ce seroit sur si grand’amende que de recevoir punition mortelle, sans avoir nulle espérance de rémission. Et par espécial Perrot le Bernois, capitaine de Chalucet, Aimerigot Marcel, Olim Barbe, capitaine d’Ouzac en la marche d’Auvergne, étoient nommés étroitement et closement en la dite charte, afin que de nul mal ou cas préjudiciable, si eux ou les leurs le faisoient ou consentoient à faire, ils ne s’en pussent point excuser.

Les aucuns capitaines, qui doutoient la sentence de recevoir mort honteuse ou d’encheoir en l’indignation du roi de France et de ses vassaux, tenoient et tinrent bien les points de la charte sans enfreindre ni obvier à l’encontre ; et les aucuns non ; dont depuis ils le comparèrent chèrement, si comme il vous sera remontré avant en l’histoire.

Vous savez, si comme il est ici dessus contenu en notre livre et dedans le procès de l’histoire faite, dite et ordonnée par véritable et discret homme, sire Jean Froissart[1], trésorier et chanoine de Chimay, comment traités furent entre les pays, c’est à savoir Auvergne, Rouergue, Caoursin et Limousin, aux capitaines qui tenoient plusieurs forts et garnisons ès dits pays ennemis et contraires au royaume de France ; et en furent meneurs et traiteurs Jean comte d’Armignac et Bernard Dauphin d’Auvergne et comte de Clermont. Et tant exploitèrent ces deux seigneurs, et par bonne diligence que ils rendirent, que ils adoucirent aucuns capitaines et les amenèrent jusques à composition et vendition de leurs forts. L’achat des seigneurs dessus nommés fut fait aux capitaines, par manière et condition que, ils dévoient renoncer à la guerre de France et d’Angleterre le terme durant les trèves, et s’en devoient aller avec le comte d’Armignac en Lombardie et là où il les voudroit mener, pour aider a faire sa guerre à l’encontre de messire Galéas comte de Vertus, lequel avoit déshérité ses cousins germains, les enfans de son oncle messire Barnabo, si comme il est écrit et contenu ci-dessus en notre histoire. Et pour avoir l’aide et le confort d’eux, et nettoyer les pays dessus nommés des pillards et des robeurs qui tant mesfaisoient aux hommes et femmes des pays dessus dits, le dit comte d’Armignac et le comte Dauphin son cousin s’en étoient loyaument et diligemment ensonniés, aussi à la requête et prière des bonnes gens, des cités, des villes et du plat pays des terres dessus nommées ; et tant que, par amiable ordonnance, une taille et cueillette d’or et d’argent avoit été faite en Auvergne, en Gévaudan, Rouergue, Caoursin et en Limousin, jusques à la somme de deux cents mille francs. Et s’en étoient les povres du pays et les riches pris si près du payer que plusieurs en avoient vendu et engagé leur héritage, pour vouloir demeurer en paix en leur nation. Et cuidoient les bonnes gens, on leur donnoit à entendre, que de ces cinq pillards et robeurs, qui les forts et les garnisons avoient vidés, parmi l’argent et l’or délivré que payé avoient, être quittes à toujours mais de eux sans nul retour ; mais non furent en trop de lieux, et par espécial de Aimerigot Marcel et de ses gens ; car depuis que le châtel d’Aloïse fut rendu par vendition au comte d’Armignac, qui siéd au droit cœur d’Auvergne, si y fit Aimerigot et conseilla à faire moult de maux.

Cil Aimerigot pouvoit bien en deniers tous appareillés payer et finer de cent mille francs. Et tout lui venoit de pillages, de roberies, de rançons et de pactis ; et avoit mené cette ruse plus de dix ans. Le comte d’Armignac tendoit trop fort à avoir Aimerigot en sa route, et disoit ainsi ; que point ne le lairoit derrière pour deux raisons : l’une raison étoit que de Aimerigot il aimoit grandement la compagnie et le conseil, car en tous faits d’armes il le sentoit subtil et appert pour embler ou pour écheller forteresses, ou pour donner conseil en toutes les manières d’armes que on les vouloit avoir ; et lui faisoit dire et remontrer par aucuns moyens que trop grand profit lui feroit, si il s’en alloit avecques lui. La seconde raison étoit, et l’entendoit le comte ainsi, que si Aimerigot demeuroit derrière, quoique il eût vendu et délivré

  1. Il paraîtrait que ce chapitre aurait été ajouté par un copiste ; toutefois la narration paraît évidemment du style de Froissart. Peut-être n’y a-t-il d’intercalé que la phrase incidente : Si comme, etc.