Page:Fromentin - Dominique, 1863.djvu/116

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troite robe noire qui leur collait au corps, et qui en passant arrachaient des fleurs d’épines et s’en allaient avec ces fleurs brisées dans la main. Ce ne sont point des contrastes que j’imagine, et je me rappelle la sensation que fit naître en moi en pareille circonstance, à pareille heure, en pareil lieu, la vue de ces tristes jeunes gens, vêtus de deuil et déjà tout semblables à des veufs. De temps en temps je me retournais du côté de la ville ; on ne voyait plus à la limite lointaine des prairies que la ligne un peu sombre de ses boulevards et l’extrémité de ses clochers d’église. Alors je me demandais comment j’avais fait pour y demeurer si longtemps, et comment il m’avait été possible de m’y consumer sans y mourir ; puis j’entendis sonner les vêpres, et ce bruit de cloches, accompagné de mille souvenirs, m’attrista, comme un rappel à des contraintes sévères. Je pensai qu’il faudrait revenir, rentrer avant la nuit, m’enfermer de nouveau, et je repris avec plus d’emportement ma course du côté de la rivière.

Je revins, non pas épuisé, mais plus excité au contraire par ce vagabondage de plusieurs heures au grand air, dans la tiédeur des routes, sous l’âpre et mordant soleil d’avril. J’étais dans une sorte d’ivresse, rempli d’émotions extraordinaires,