Page:Fromentin - Dominique, 1863.djvu/118

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des barres de feu se formèrent au couchant, du côté où s’élevaient, au-dessus des toitures, les mâts des navires amarrés dans la rivière. Je restai là jusqu’à la nuit, me demandant ce que j’éprouvais, ne sachant que répondre, écoutant, voyant, sentant, étouffé par des pulsations d’une vie extraordinaire, plus émue, plus forte, plus active, moins compressible que jamais. J’aurais souhaité que quelqu’un fût là ; mais pourquoi ? Je n’aurais pu le dire. Et qui ? Je le savais encore moins. S’il m’avait fallu choisir à l’heure même un confident parmi les êtres qui m’étaient alors le plus chers, il m’eût été impossible de nommer personne.

Quelques minutes seulement avant que le dernier rayon du jour eût disparu, je descendis. Je me glissai par les rues que je savais désertes jusqu’aux endroits du boulevard où l’herbe poussait en pleine solitude. Je longeai la place où j’entendis commencer les premières sonneries de la retraite militaire. Puis le bruit des clairons s’éloigna, et j’en suivis la marche de loin par les rues sinueuses, d’après des échos plus distincts ou plus confus suivant la largeur de l’espace où, dans l’air tranquille du soir, le son se déployait. Seul, tout seul, dans le crépuscule bleu qui descendait du ciel, sous les ormeaux garnis de frondaisons légè-