Page:Fromentin - Dominique, 1863.djvu/19

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envie à personne, il avait eu le courage assez rare de s’examiner souvent, et la sévérité plus rare encore de se juger médiocre. Enfin il existe si peu, quoiqu’il existe, qu’il est presque indifférent de parler de lui soit au présent, soit au passé.

La première fois que je le rencontrai, c’était en automne. Le hasard me le faisait connaître à cette époque de l’année qu’il aime le plus, dont il parle le plus souvent, peut-être parce qu’elle résume assez bien toute l’existence modérée qui s’accomplit ou qui s’achève dans un cadre naturel de sérénité, de silence et de regrets. « Je suis un exemple, m’a-t-il dit maintes fois depuis lors, de certaines affinités malheureuses qu’on ne parvient jamais à conjurer tout à fait. J’ai fait l’impossible pour n’être point un mélancolique, car rien n’est plus ridicule à tout âge et surtout au mien ; mais il y a dans l’esprit de certains hommes je ne sais quelle brume élégiaque toujours prête à se répandre en pluie sur leurs idées. Tant pis pour ceux qui sont nés dans les brouillards d’octobre ! » ajoutait-il en souriant à la fois de sa métaphore prétentieuse et de cette infirmité de nature dont il était au fond très-humilié.

Ce jour-là, je chassais aux environs du village qu’il habite. Je m’y trouvais arrivé de la veille et