Page:Fromentin - Dominique, 1863.djvu/256

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supposer que ce triste et famélique bonheur eût pu faire envie à qui que ce fût.

À Madeleine, je ne disais que la moitié de la vérité. Je ne lui cachais rien de mon aversion pour le monde, sauf à lui déguiser le motif tout personnel de certains griefs. Quand il s’agissait de juger le monde d’une façon plus générale, indépendamment du perpétuel soupçon qui me le faisait considérer en masse comme un voleur de mon bien, alors je donnais cours à mes invectives avec une joie féroce. Je le dépeignais comme hostile à ce que j’aimais, comme indifférent pour tout ce qui est bien et plein de mépris pour ce qu’il y a de plus respectable en fait de sentiments comme en fait d’opinions. Je lui parlais de mille spectacles dont tout homme de sens devait être blessé, de la légèreté des maximes, de la légèreté plus grande encore des passions, de la facilité des consciences, pour quelque prix que ce fût d’ambition, de gloire ou de vanité. Je lui signalais cette façon libre d’envisager non seulement un devoir, mais tous les devoirs, cet abus de mots, cette confusion de toutes les mesures, qui fait qu’on pervertit les idées les plus simples, qu’on arrive à ne plus s’entendre sur rien, ni sur le bien, ni sur le vrai, ni sur le mauvais, ni sur le pire, et qu’il n’y a pas plus de