Page:Fromentin - Dominique, 1863.djvu/272

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degré d’émotion qui nous permettait, à moi de beaucoup oser, à elle de tout entendre. Je n’avais plus qu’un mot à dire pour briser cet horrible écrou du silence qui m’étranglait chaque fois que je pensais à elle. Je cherchais seulement une phrase, une première phrase ; j’étais très-calme, je croyais du moins me sentir tel : il me semblait même que mon visage ne laissait pas trop apercevoir le débat extraordinaire qui se passait en moi. Enfin j’allais parler, quand, pour m’enhardir davantage, je levai les yeux sur Madeleine.

Elle était dans l’humble attitude que je vous ai dite, clouée sur son fauteuil, sa broderie tombée, les deux mains croisées par un effort de volonté, qui sans doute en diminuait le tremblement, tout le corps un peu frissonnant, pâle à faire pitié, les joues comme un linge, les yeux en larmes, grands ouverts, attachés sur moi avec la fixité lumineuse de deux étoiles. Ce regard étincelant et doux, mouillé de larmes, avait une signification de reproche, de douceur, de perspicacité indicible. On eût dit qu’elle était moins surprise encore d’un aveu qui n’était plus à faire, qu’effrayée de l’inutile anxiété qu’elle apercevait en moi. Et s’il lui avait été possible de parler, dans un instant où toutes les énergies de sa tendresse et de sa fierté me sup-