Page:Fromentin - Dominique, 1863.djvu/290

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proposais comme un moyen. Je continuai de vivre assez près d’elle pour lui prouver que j’adoptais un parti moins extrême, assez loin pour la laisser libre et ne plus lui imposer des complicités dont je rougissais.

Que se passa-t-il alors dans l’esprit de Madeleine ? Je vous en fais juge. À peine affranchie de ce rôle extraordinaire de confidente et de sauveur, tout à coup elle se transforma. Son humeur, son maintien, l’inaltérable douceur de son regard, la parfaite égalité de ce caractère composé d’or maniable et d’acier, c’est-à-dire d’indulgence et de pure vertu ; cette nature résistante et sans dureté, patiente, unie, toujours dans l’équilibre d’un lac abrité, cette consolatrice ingénieuse, cette bouche inépuisable en mots exquis, tout cela changea. Je vis paraître alors un être nouveau, bizarre, incohérent, inexplicable et fugace, aigri, chagrin, blessant et ombrageux, comme si elle eût été entourée de pièges, aujourd’hui que je me dévouais sans réserve au soin d’aplanir sa vie et d’en écarter l’ombre d’un souci. Quelquefois je la trouvais en larmes. Elle les dévorait aussitôt, passait la main sur ses yeux avec un geste indicible d’indignation ou de dégoût, et les essuyait, comme elle aurait fait d’une souillure. Elle rougissait sans