Page:Fromentin - Dominique, 1863.djvu/325

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charme, autre ressemblance avec le virtuose ailé. Dès les premières notes, il y eut dans la salle un léger frémissement, comme dans un bois dont les feuilles palpitent. Jamais il ne me parut si extraordinaire que ce soir-là, soirée unique et la dernière où j’aie voulu l’entendre. Tout était exquis, jusqu’à cette langue fluide, voltigeante et rythmée, qui donne à l’idée des chocs sonores, et fait du vocabulaire italien un livre de musique. Il chantait l’hymne éternellement tendre et pitoyable des amants qui espèrent. Une à une et dans des mélodies inouïes, il déroulait toutes les tristesses, toutes les ardeurs et toutes les espérances des cœurs bien épris. On eût dit qu’il s’adressait à Madeleine, tant sa voix nous arrivait directement, pénétrante, émue, discrète, comme si ce chanteur sans entrailles eût été le confident de mes propres douleurs. J’aurais cherché cent ans dans le fond de mon cœur torturé et brûlant, avant d’y trouver un seul mot qui valût un soupir de ce mélodieux instrument qui disait tant de choses et n’en éprouvait aucune.

Madeleine écoutait, haletante. J’étais assis derrière elle, aussi près que le permettait le dossier de son fauteuil, où je m’appuyais. Elle s’y renversait aussi de temps en temps, au point que ses