Page:Fromentin - Dominique, 1863.djvu/330

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son intensité. Je me rappelais ce que j’avais souffert, soit dans les foules, soit chez moi, toujours dans l’isolement, en me sentant perdu, médiocre, et continuellement abandonné. Je compris que cette longue infirmité ne dépendait pas de moi, que toute petitesse était le fait d’un défaut de bonheur. « Un homme est tout ou n’est rien, me disais-je. Le plus petit devient le plus grand ; le plus misérable peut faire envie ! » Et il me semblait que mon bonheur et mon orgueil remplissaient Paris.

Je fis des rêves insensés, des projets monstrueux, et qui seraient sans excuse s’ils n’avaient pas été conçus dans la fièvre. Je voulais voir Madeleine le lendemain, la voir à tout prix. « Il n’y aura plus, me disais-je, ni subterfuges, ni déguisements, ni habileté, ni barrières, qui prévaudront contre ce que je veux et contre la certitude que je tiens. » J’avais toujours à la main ces fleurs brisées. Je les regardais ; je les couvrais de baisers ; je les interrogeais comme si elles avaient gardé le secret de Madeleine ; je leur demandais ce que Madeleine avait dit en les déchirant, si c’étaient des caresses ou des insultes… Je ne sais quelle sensation effrénée me répondait que Madeleine était perdue et que je n’avais plus qu’à oser !

Dès le lendemain, je courus chez Mme de Nièvres.