Page:Fromentin - Dominique, 1863.djvu/383

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j’ai adopté de me retirer du monde, je ne m’en suis jamais repenti. Un homme qui prend sa retraite avant trente ans et y persiste témoigne assez ouvertement par là qu’il n’était pas né pour la vie publique, pas plus que pour les passions. Je ne crois pas d’ailleurs que l’activité réduite où je vis soit un mauvais point de vue pour juger les hommes en mouvement. Je m’aperçois que le temps a fait justice au profit de mes opinions de beaucoup d’apparences qui jadis auraient pu me causer l’ombre d’un doute, et comme il a vérifié la plupart de mes conjonctures, il se pourrait qu’il eût aussi confirmé quelques-unes de mes amertumes. Je me rappelle avoir été sévère pour les autres à un âge où je considérais comme un devoir de l’être beaucoup pour moi-même. Chaque génération plus incertaine qui succède à des générations déjà fatiguées, chaque grand esprit qui meurt sans descendance, sont des signes auxquels on reconnaît, dit-on, un abaissement dans la température morale d’un pays. J’entends dire qu’il n’y a pas grand espoir à tirer d’une époque où les ambitions ont tant de mobiles et si peu d’excuses, où l’on prend communément le viager pour le durable, où tout le monde se plaint de la rareté des œuvres, où personne n’ose avouer la rareté des hommes…