Page:Fromentin - Dominique, 1863.djvu/59

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savait mettre en toutes choses où sa vie intérieure n’était pas mêlée. Il aimait la campagne en enfant et ne s’en cachait pas ; mais il en parlait en homme qui l’habite, jamais en littérateur qui l’a chantée. Il y avait certains mots qui ne sortaient jamais de sa bouche, parce que, plus qu’aucun autre homme que j’aie connu, il avait la pudeur de certaines idées, et l’aveu des sentiments dits poétiques était un supplice au-dessus de ses forces. Il avait donc pour la campagne une passion si vraie, quoique contenue dans la forme, qu’il demeurait à ce sujet-là plein d’illusions volontaires, et qu’il pardonnait beaucoup aux paysans, même en les trouvant pétris d’ignorance et de défauts, quand ce n’est pas de vices. Il vivait avec eux dans de continuels contacts, quoiqu’il ne partageât, bien entendu, ni leurs mœurs, ni leurs goûts, ni aucun de leurs préjugés. La simplicité extrême de sa mise, celle de ses manières et de toute sa vie auraient au besoin servi d’excuses à des supériorités que personne au surplus ne soupçonnait. Tous à Villeneuve l’avaient vu naître, grandir, puis, après quelques années d’absence, revenir au pays et s’y fixer. Il y avait des vieillards pour lesquels, à quarante-cinq ans tout à l’heure, il était encore le petit Dominique, et parmi ceux qui passaient