Page:Fromentin - Dominique, 1863.djvu/75

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sonne entrer dans la vie avec moins d’idéal et plus de sang-froid, ni envisager sa destinée d’un regard plus ferme, en y comptant aussi peu de ressources. Il avait l’œil clair, le geste libre, la parole nette, et juste assez d’agrément de tournure et d’esprit pour se glisser inaperçu dans les foules. Il dépendait d’un tel caractère, aux prises avec le mien, qui lui ressemblait si peu, de me faire beaucoup souffrir ; mais j’ajouterai qu’avec une bonté d’âme réelle, il avait une droiture de sentiments et une rectitude d’esprit à toute épreuve. C’était le propre de cette nature incomplète, et pourtant sans trop de lacunes, de posséder certaines facultés dominantes qui lui tenaient lieu des qualités absentes, et de se compléter elle-même en n’y laissant pas supposer le moindre vide. On lui eût donné tout près de trente ans, quoiqu’il en eût tout juste vingt-quatre. Son nom de baptême était Augustin ; jusqu’à nouvel ordre, je l’appellerai ainsi.

Aussitôt qu’il fut installé près de nous, ma vie changea, en ce sens du moins qu’on en fit deux parts. Je ne renonçai point aux habitudes prises, mais on m’en imposa de nouvelles. J’eus des livres, des cahiers d’étude, des heures de travail ; je n’en contractai qu’un goût plus vif pour les distractions