Page:Furetière - Le Roman bourgeois.djvu/147

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grande surprise de l’assemblée. Avec la mesme invention il se faisoit donner publiquement par son camarade des bouts-rimez, sur lesquels, à quelques moments de là, il rapportoit un sonnet qu’il donnoit pour estre fait sur le champ, et qu’il avoit fait chez luy en toute liberté et à loisir. Il est vrai qu’il lui arriva un jour un petit esclandre : c’est qu’une dame, qui avoit descouvert la chose par l’infidelité de son associé, et qui connoissoit d’ailleurs l’humeur du personnage et la portée de son esprit, luy dit lors qu’il luy mit en main un sonnet dont il vouloit faire admirer la promptitude : Vous me le pouviez donner encore en moins de temps, ou vous estes bien long à escrire.

Je suis bien aise d’apprendre (dit Laurence) les faussetez qui s’y commettent, car quand on m’en donnera je voudray avoir de bons certificats de gens de bien et d’honneur pour attester qu’ils ont esté faits en leur presence, et qu’il n’y sera arrivé ny fraude ny mal-engin. Quand à moy (reprit Angelique), je n’ay jamais voulu donner mon approbation à ces sortes de pieces, car ce seroit donner de la reputation à bon marché ; je la reserve pour les ouvrages polis et serieux, et particulierement pour le sonnet, qui est (comme dit un de mes bons amis42) le chef-d’œuvre de la poesie et le plus noble de tous les poëmes.

Vous ne seriez pas souvent en estat de la prodiguer


42. C’est de Boileau qu’il s’agit, et Furetière parle ici moins pour Angélique que pour lui-même. Ils étoient, en effet, fort amis, et d’esprit d’ailleurs à se bien comprendre. Ils se prêtoient mutuellement des traits pour leurs satires. Ainsi l’on sait par Brossette que c’est Furetière qui designa à