Page:Furetière - Le Roman bourgeois.djvu/168

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bles pour le rendre leste et propre. Elle luy fit faire de certaines trousses avec lesquelles les peintres, qui font scrupule de le peindre tout nud, le dépeignent encore aujourd’huy. Quelque reputation qu’il eust d’être dangereux, ce n’estoit rien au pris des malices qu’il fit depuis qu’il fut chargé de ce pestilent habit. Archelaïde (tel estoit le nom de cette dame) estoit une femme parfaitement accomplie, car, outre qu’elle possédoit les beautez dont se vantent les personnes les mieux faites, sa naissance luy donnoit encore un certain air majestueux, qui luy faisoit avoir un grand avantage sur celles qui l’auroient peû égaler par la richesse de leur taille. L’encens et les adorations estoient des tributs legitimes, qu’on payoit volontairement à son merite. L’Amour, qui avoit esté nourry dans un lieu où on reçoit continuellement de pareils presens, s’imaginoit presque déja revoir sa patrie, et il se plut merveilleusement en cette cour, quoy qu’il y fust inconnu et travesty. Il estoit bien aise de voir le profond respect que plusieurs illustres personnes rendoient à la divinité visible qu’il ne dédaignoit pas de servir. Mais apres y avoir esté quelque temps, une chose le choqua fort : c’est qu’il pretend que dans tous les lieux où il séjourne, il doit trouver quelque égalité et quelque douce intelligence. Il n’en vid icy aucune ; tous ceux qui approchoient d’Archelaïde n’osoient lever les yeux sur elle, non pas mesme pour l’admirer, et sa fierté naturelle leur ostoit toute la hardiesse que leur mérite leur auroit pû donner legitimement. Ce fut la principale raison qui fit concevoir à l’Amour le dessein d’assaillir ce rocher, qui portoit son orgueil jusque dans les nuës, car sa generosité l’excite à faire d’illustres conquestes et à