Page:Furetière - Le Roman bourgeois.djvu/202

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centes que leur malheur y avoit fait entrer, qui y faisoient un noviciat de coqueterie, en mesme temps qu’on croyoit leur en faire faire un de religion. En un mot, à leur égard il n’y avoit autre reforme que les grilles, qui mettoient les corps en seureté ; encore cela ne regardoit pas celles qui avoient privilege de sortir deux ou trois fois la semaine, sous pretexte de soliciter leurs procès. Douze parloirs qu’il y avoit au couvent estoient plains tout le jour ; encore il les falloit retenir de bonne heure pour y avoir place, comme on auroit fait les chaises au sermon d’un predicateur episcopisant.

Javotte fit bien-tost sçavoir à son amant le lieu où on l’avoit enfermée ; il ne faut pas demander s’il s’y rendoit tous les jours. Quand il sortoit, ses porteurs de chaise ne luy demandoient point de quel costé il falloit tourner : de leur propre mouvement ils alloient tousjours de ce costé-là. Jamais il ne trouva de lieu qui fut plus selon ses souhaits pour prescher son amour tout à loisir : car il avoit là cet avantage de parler à sa maistresse seul à seul, et tant qu’il vouloit ; au lieu que pendant que Javotte estoit dans le monde, il ne la voyoit que hors de chez elle, et fort rarement dans des compagnies où elle lui donnoit rendez-vous, et où ils estoient perpétuellement interrompus par les changemens qui y arrivent d’ordinaire. Il eût donc tout loisir pour la remercier de la genereuse action qu’elle avoit faite en sa faveur, et pour rire de la confusion qu’elle avoit fait à son malheureux et ridicule rival, dont les discours et les mœurs leur fournirent la matiere d’un assez long entretien. Il eut encore le temps de luy expliquer et faire connoistre comment la passion qu’il avoit pour elle augmentoit de jour en jour ; et les té-