Page:Furetière - Le Roman bourgeois.djvu/347

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dresser tout prest dès le jour de ses fiançailles. Si je voulois raconter, mesme succinctement, tous les proces et les broüilleries qui sont survenuës entre eux depuis, je serois obligé d’écrire plus de dix volumes, et je passerois ainsi la borne que nos escrivains modernes ont prescrite aux romans les plus boursoufflez. Mais encore, lecteur, avant que de finir, je serois bien aise de vous faire deviner quel fut le succes de ces plaidoyries, et qui fut le plus opiniastre de Collantine ou de Charroselles. J’ayme mieux pourtant vous tirer de peine, car je vois bien que vous n’en viendriez jamais à bout ; mais auparavant, il faut que je vous fasse un petit conte :

Dans le pays des fées, il y avoit deux animaux privilegiez : l’un estoit un chien fée, qui avoit obtenu le don qu’il attrappoit toutes les bestes sur lesquelles on le lâcheroit ; l’autre estoit un lièvre fée, qui de son costé avoit eu le don de n’estre jamais pris par quelque chien qui le poursuivist. Le hazard voulut qu’un jour le chien fée fut lasché sur le lièvre fée. On demanda là-dessus quel seroit le don qui prevaudroit, si le chien prendroit le lièvre, ou si le lièvre échapperoit du chien, comme il estoit écrit dans la destinée de chacun. La resolution de cette difficulté est qu’ils courent encore. Il en est de mesme des proces de Collantine et de Charroselles : ils ont tousjours plaidé et plaident encore, et plaideront tant qu’il plaira à Dieu de les laisser vivre.

Fin.