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438 LIVRE V. LE RÉGIME MUNICIPAL DISPARAIT.

ni^tration des provinces. Ces familles, s'enrichissant ainsi k chaque génération, devinrent démesurément opulentes, et chacune d'elles fut une puissance vis-à-vis du peuple. L'autre cause était que le Romain, même le plus pauvre, avait un respect inné pour la richesse. Alors que la vraie clientèle avait depuis longtemps disparu, elle fut comme ressuscité e sous la forme d'un hommage rendu aux grandes fortunes; el l'usage s'établit que les prolétaires allassent chaque matin sa- luer les riches et leur demander la nourriture du jour.

Ce n'est pas que la lutte des riches et des pauvres ne se soi . Yue à Rome comme dans toutes les cités. Mais elle ne com mença qu'au temps des Gracques, c'est-à-dire après que U conquête était presque achevée. D'ailleurs, cette lutte n'eut jamais à Rome le caractère de violence qu'elle avait partout ailleurs. "Le bas peuple de Rome ne convoita pas très-ardem- ment la richesse •, il aida mollement les Gracques-, il se refusa à croire que ces réformateurs travaillassent pour lui, et il les abondonna au moment décisif. Les lois agraires, si souvent présentées aux riches comme une menace, laissèrent toujours le peuple assez indifférent et ne l'agitèrent qu'à la surface. On voit bien qu'il ne souhaitait pas très-vivement de posséder des terres; d'ailleurs, si on lui offrait le partage des terres pu- bliques, c'est-à-dire du domaine de l'État, du moins il n'avait pas la pensée de dépouiller les riches de leurs propriétés. Moitié par un respect -invétéré, et moitié par habitude de ne rien faire, il aimait à vivre à côté et comme à l'ombre des riches.

Cette classe eut la sagesse d'admettre en elle les familles les plus considérables des villes sujettes ou des alliés. Tout c» qui était riche en Italie, arriva peu à peu à former la classe riche de Rome. Ce corps grandit toujours en importance et fut maître de l'État. Il exerça seul les magistratures, parce qu'elles coûtaient beaucoup à acheter ; et il composa seul le Sénat, parce qu'il fallait un cens très-élevé pour être sénateur. Ainsi l'on vit se produire ce fait étrange, qu'en dépit des lois qui étaient démocratiques, il se forma une noblesse, et que le peuple, qui était tout-puissant, souffîrit qu'elle s'élevât au-

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