Page:Fustel de Coulanges - La Cité antique, 1920.djvu/471

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que ce principe nouveau a été la source d’où a pu venir la liberté de l’individu. Une fois que l’âme s’est trouvée affranchie, le plus difficile était fait, et la liberté est devenue possible dans l’ordre social.

Les sentiments et les mœurs se sont alors transformés aussi bien que la politique. L’idée qu’on se faisait des devoirs du citoyen s’est affaiblie. Le devoir par excellence n’a plus consisté à donner son temps, ses forces et sa vie à l’État. La politique et la guerre n’ont plus été le tout de l’homme ; toutes les vertus n’ont plus été comprises dans le patriotisme ; car l’âme n’avait plus de patrie. L’homme a senti qu’il avait d’autres obligations que celles de vivre et de mourir pour la cité. Le christianisme a distingué les vertus privées des vertus publiques. En abaissant celles-ci, il a relevé celles-là ; il a mis Dieu, la famille, la personne numaine au-dessus de la patrie, le prochain au-dessus du concitoyen.

Le droit a aussi changé de nature. Chez toutes les nations anciennes, le droit avait été assujetti à la religion et avait reçu d’elle toutes ses règles. Chez les Perses et les Hindous, chez les Juifs, chez les Grecs, les Italiens et les Gaulois, la loi avait été contenue dans les livres sacrés ou dans la tradition religieuse. Aussi chaque religion avait-elle fait le droit à son image. Le christianisme est la première religion qui n’ait pas prétendu que le droit dépendît d’elle. Il s’occupa des devoirs des hommes, non de leurs relations d’intérêts. On ne le vit régler ni le droit de propriété, ni l’ordre des successions, ni les obligations, ni la procédure. Il se plaça en dehors du droit, comme en dehors de toute chose purement terrestre. Le droit fut donc indépendant ; il put prendre ses règles dans la nature, dans la conscience humaine, dans la puissante idée du juste qui est en nous. Il put se développer en toute liberté, se réformer et s’améliorer sans nul obstacle, suivre les progrès de la morale, se plier aux intérêts et aux besoins sociaux de chaque génération.

L’heureuse influence de l’idée nouvelle se reconnaît bien dans l’histoire du droit romain. Durant les quelques siècles qui précédèrent le triomphe du christianisme, le droit romain