Page:Gaboriau - L’Affaire Lerouge.djvu/204

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À la longue, il trouva non le repos, mais cet engourdissement exempt de douleurs qui suit les grandes catastrophes. La convalescence de l’oubli commençait pour lui.

Voilà quels événements ce nom de Commarin prononcé par le père Tabaret rappelait à M. Daburon. Il les croyait ensevelis sous la cendre du temps et voilà qu’ils surgissaient comme ces caractères qu’on trace avec une encre sympathique et qui apparaissent si l’on vient à approcher le papier du feu. En un instant, ils se déroulèrent devant ses yeux, avec cette merveilleuse instantanéité du songe qui supprime le temps et l’espace.

Pendant quelques minutes, grâce à un phénomène admirable de dédoublement, il assista, pour ainsi dire, à la représentation de sa propre vie. Acteur et spectateur ensemble, il était là, assis dans son fauteuil, et il paraissait sur le théâtre, il agissait et il se jugeait.

Sa première pensée, il faut l’avouer, fut une pensée de haine, suivie d’un détestable sentiment de satisfaction. Le hasard lui livrait cet homme préféré par Claire. Ce n’était plus un hautain gentilhomme illustré par sa fortune et par ses aïeux, c’était un bâtard, le fils d’une femme galante. Pour garder un nom volé, il avait commis le plus lâche des assassinats. Et lui, le juge, il allait éprouver cette volupté infinie de frapper son ennemi avec le glaive de la loi.