Page:Gaboriau - L’Affaire Lerouge.djvu/215

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ne s’efface plus. Elle reconnaît qu’elle s’est trompée, elle l’avoue hautement, elle le proclame, en vain ! L’opinion absurde, idiote, ne pardonne pas à un homme d’avoir pu être soupçonné.

C’est en poussant de gros soupirs que le père Tabaret écoutait ces réflexions. Ce n’est pas lui qui eût été retenu par de si mesquines considérations.

— Nos soupçons sont fondés, continua le juge, j’en suis persuadé. Mais s’ils étaient faux ? Notre précipitation serait pour ce jeune homme un affreux malheur. Et encore, quel éclat, quel scandale ! Y avez-vous songé ! Vous ne savez pas tout ce qu’une démarche risquée peut coûter à l’autorité, à la dignité de la justice, au respect qui constitue sa force. L’erreur appelle la discussion, provoque l’examen, enfin éveille la méfiance à une époque où tous les esprits ne sont que trop disposés à se défier des pouvoirs constitués.

Il s’appuya sur le guéridon et parut réfléchir profondément.

— Pas de chance, pensait le père Tabaret, j’ai affaire à un trembleur. Il faudrait agir, il parle ; signer des mandats, il pousse des théories. Il est étourdi de ma découverte et il a peur. Je supposais en accourant ici qu’il serait ravi, point. Il donnerait bien un louis de sa poche pour ne m’avoir pas fait appeler ; il ne saurait rien et dormirait du sommeil épais de l’ignorance. Ah ! voilà ! On voudrait bien