Page:Gaboriau - L’Affaire Lerouge.djvu/316

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et un remords. Mais la justice de Dieu, en avance sur celle des hommes, allait prendre une terrible revanche. Un jour, on vint m’avertir que Valérie se jouait de moi et me trompait depuis longtemps. Je ne voulus pas le croire d’abord ; cela me paraissait impossible, insensé. J’aurais plutôt douté de moi que d’elle. Je l’avais prise dans une mansarde, s’épuisant seize heures pour gagner trente sous, elle me devait tout. J’en avais si bien fait, à la longue, une chose à moi, qu’une trahison d’elle répugnait en quelque sorte à ma raison. Je ne pouvais pas prendre sur moi d’être jaloux. Cependant, je m’informai, je la fis surveiller, je descendis jusqu’à l’épier. On avait dit vrai. Cette malheureuse avait un amant, et elle l’avait depuis plus de dix ans. C’était un officier de cavalerie. Il venait chez elle en s’entourant de précautions. D’ordinaire il se retirait vers minuit, mais il lui arrivait aussi de passer la nuit, et, en ce cas, il s’échappait de grand matin. Envoyé en garnison loin de Paris, il obtenait des permissions pour la venir visiter, et, pendant ces permissions, il restait enfermé chez elle sans bouger. Un soir, mes espions me prévinrent qu’il y était. J’accourus. Ma présence ne la troubla pas. Elle m’accueillit comme toujours en me sautant au cou. Je crus qu’on m’abusait, et j’allais tout lui dire, quand, sur le piano, j’aperçus des gants de daim comme en portent les militaires. Ne voulant pas d’éclat, ne sachant à quel