Page:Gaboriau - Le Crime d’Orcival, 1867.djvu/333

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son compte de prévenus, un par crime ; il n’ignore pas que la police tant qu’elle n’a pas son coupable, reste sur pied, l’œil et l’oreille au guet ; il nous a jeté Guespin comme le chasseur serré de trop près jette son gant à l’ours qui le poursuit. Peut-être comptait-il que l’erreur ne coûterait pas la tête à un innocent ; certainement il espérait gagner ainsi du temps. Pendant que l’ours flaire le gant, le tourne et le retourne, le rusé chasseur gagne du terrain, s’esquive et se met en lieu sûr. Ainsi se proposait de faire Trémorel.

De tous les auditeurs de M. Lecoq, le plus enthousiaste était désormais, sans conteste, l’agent de Corbeil qui, tout à l’heure, le regardait avec des yeux si farouches. Littéralement, Goulard buvait les paroles de son chef. Jamais il n’avait ouï un collègue s’exprimer avec cette verve, cette autorité ; il n’avait pas idée d’une semblable éloquence, et il se redressait comme s’il eût rejailli sur lui quelque chose de l’admiration qu’il lisait sur tous les visages. Il grandissait dans sa propre estime, à cette idée qu’il était soldat dans une armée commandée par de tels généraux. Il n’avait plus d’opinion, il avait l’opinion de son supérieur.

Malheureusement il était plus difficile de séduire, de subjuguer et de convaincre le juge d’instruction.

— Cependant, objecta-t-il, vous avez vu la contenance de Guespin.

— Eh ! monsieur, qu’importe et que prouve la contenance ? Savons-nous, vous et moi, si demain nous étions arrêtés sous la prévention d’un crime affreux quelle serait notre tenue ?

M. Domini ne prit pas la peine de dissimuler un haut-le-corps des plus significatifs : la supposition lui semblait des plus malséantes.

— Pourtant, vous et moi, nous sommes familiarisés avec l’appareil de la justice. Le jour où j’arrêtai Lanscot, ce pauvre domestique de la rue de Marignan, ses premières paroles furent : « Allons, mon compte est bon. » Le matin où le père Tabaret et moi nous saisîmes au