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prière à vous adresser : Tout le monde me croit mort, et c’est là ce qui assure mon salut. Mais je ne puis laisser ce désespoir à mon vieux père. Jurez-moi que vous-même, demain matin, vous irez lui apprendre que je suis sauvé.

— J’irai, je vous le jure, répondit-elle.

Le parti de Gaston était pris ; il sentait qu’il fallait profiter de ce moment de courage, il se pencha vers son amie pour l’embrasser une dernière fois. Doucement, d’un geste triste, elle l’éloigna.

— Où comptez-vous aller ? demanda-t-elle.

— Je vais gagner Marseille, où un ami me cachera et me cherchera un passage.

— Vous ne pouvez partir ainsi ; il vous faut un compagnon, un guide, et je vais vous en donner un en qui vous pouvez avoir la plus aveugle confiance, le père Menoul, notre voisin, qui a été longtemps patron d’un bateau sur le Rhône.

Ils sortirent par la petite porte du parc, dont Gaston avait la clé, et bientôt ils arrivèrent chez le vieux marinier.

Il sommeillait au coin de son feu, dans son fauteuil de bois blanc. En voyant entrer chez lui Valentine, accompagnée de M. de Clameran, il se dressa brusquement, se frottant les yeux, croyant rêver.

— Père Menoul, dit Valentine, monsieur le comte que voici est obligé de se cacher ; il voudrait gagner la mer et s’embarquer secrètement. Pouvez-vous le conduire dans votre bateau, jusqu’à l’embouchure du Rhône ?…

Le bonhomme hocha la tête.

— Avec l’état de l’eau, répondit-il, la nuit, ce n’est guère possible.

— C’est à moi, père Menoul, que vous rendrez un immense service.

— À vous ! mademoiselle Valentine ; alors, c’est fait, nous allons partir.

À ce moment seulement, il se crut permis de faire observer à Gaston que ses vêtements étaient trempés et souillés de boue et qu’il était tête nue.