Page:Gabriel Ferry - Le coureur des bois, Tome II, 1884.djvu/377

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la retenait, et le chasseur, comme il arrive parfois, prit chasse à son tour devant le féroce animal.

L’ours ne se tint pas pour satisfait par ce triomphe d’amour-propre, et de son trot, si pesant en apparence, si rapide en réalité, il suivait le cheval à une courte distance. Souvent un galop redoublé éloignait le cavalier jusqu’à perte de vue ; mais, quand la fatigue forçait la monture à ralentir sa marche, l’ours ne tardait pas à se montrer de nouveau, continuant le trot implacable et opiniâtre qu’il avait adopté.

Au jour avait succédé la nuit, et, pendant un instant, l’animal si acharné à sa poursuite avait disparu dans l’obscurité, lorsqu’une fois encore apparut sur le terrain blanchâtre et calcaire de la plaine un corps noir, monstrueux, dont l’allure uniforme et le grommellement ne laissèrent plus aucun doute au cavalier. Ce fut la dernière fois qu’il le perdit de vue.

Comme l’ombre qui suit le corps, comme un de ces fantômes que l’imagination du voyageur effrayé en traversant des lieux déserts lui fait voir attaché à ses pas, ainsi l’ours suivait toujours le cavalier. Cependant la distance qui les séparait commençait à s’amoindrir ; l’ours n’avait pas augmenté sa vitesse, celle du cheval décroissait. La sueur couvrait ses flancs, le souffle s’échappait de plus en plus difficilement de ses naseaux dilatés par la terreur, ses jarrets nerveux mollissaient sous lui, et l’ours ne ralentissait pas son allure.

Deux heures se passèrent ainsi, deux heures dont chaque minute semblait une heure, et, depuis quelques instants déjà, le reniflement joyeux, nous dirions presque ironique de l’ours se mêlait au souffle d’angoisse du cheval, quand ce dernier, à bout de forces, épuisé par la fatigue et surtout par la terreur, s’abattit tout à coup.

Diaz prévoyait cette chute, et tomba sur ses pieds ; un heureux hasard voulut que ce fût à deux pas d’un érable élevé, sur lequel il s’empressa de grimper, plutôt par in-