Page:Gabriel Ferry - Le coureur des bois, Tome II, 1884.djvu/501

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« Vous ne dormez pas, Fabian ? dit Bois-Rosé à voix basse.

– Non ! mais vous, pourquoi ne prenez-vous pas quelque repos comme nos deux compagnons ?

– On ne dort pas, Fabian, dans les lieux consacrés par de pieux souvenirs, répondit le vieux chasseur. Cet endroit est devenu saint pour moi. N’est-ce pas ici qu’un miracle s’est opéré, quand je vous ai retrouvé au fond de ces bois de l’Amérique, après vous avoir perdu sur l’immensité de l’Océan ? Je croirais être ingrat envers Dieu, si j’oubliais ici, même pour goûter le sommeil qu’il nous ordonne de prendre, tout ce qu’il a fait pour moi.

– Je pense comme vous, mon père, et je vous écoute, répondit le jeune comte.

– Merci, Fabian, merci aussi à ce Dieu qui m’a fait vous retrouver avec un cœur aussi noble qu’aimant. Tenez, voici les traces encore visibles du foyer près duquel j’étais assis ; en voici les tisons, noirs encore, quoiqu’ils aient été lavés par l’eau de toute une longue saison de pluie ; voici l’arbre contre lequel je m’appuyais, le soir du plus beau jour de ma vie ; elle a été embellie par vous : car, depuis que vous êtes redevenu mon fils, chaque jour de mon existence a été un jour de bonheur pour moi, jusqu’au moment où j’ai dû comprendre que ma tendresse pour vous n’était pas celle dont a soif le cœur de la jeunesse.

– Pourquoi revenir toujours sur ce sujet, mon père ? répondit Fabian avec cette douceur résignée, plus poignante que les plus amers reproches.

– Soit ; ne parlons plus de ce qui peut vous être pénible ; nous en reparlerons après l’épreuve à laquelle j’ai dû vous soumettre. »

Le père et le fils, car nous pouvons bien les appeler ainsi, gardèrent de nouveau le silence pour n’écouter que les voix de la solitude. Qui pourrait dire tout ce que ces voix racontent à une âme blessée ?