Page:Gabriel Ferry - Le coureur des bois, Tome II, 1884.djvu/93

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Pepe eussent mené à fin, et d’autres avaient aussi traversé avec bonheur ces plaines dangereuses. Mais, quelque intrépide qu’on soit, l’approche du péril a toujours quelque chose de plus imposant pendant la nuit, et il était évident que le péril approchait.

L’heure, le lieu étaient faits pour inspirer de sombres réflexions ; mille embûches pouvaient être dressées pendant l’obscurité de la nuit ; les hideux et lugubres trophées suspendus alentour indiquaient le sort réservé aux vaincus par des ennemis sans pitié. Le bruit des décharges paraissait se rapprocher, et d’un moment à l’autre un fuyard, en se dirigeant du côté de la pyramide qui servait de refuge aux trois chasseurs, pouvait attirer sur eux une bande d’Indiens.

« Si nous n’avions affaire qu’à une vingtaine, dit Bois-Rosé en suivant le cours de ses réflexions, postés comme nous le sommes, aucun de ces coquins-là ne mettrait le pied sur la plate-forme, et à ce propos, Fabian, je dois vous répéter un avis qui n’est pas à dédaigner. Vous avez le sang trop bouillant, mon enfant, et le danger vous grise ; on se fait tuer par trop de bravoure comme par trop de lâcheté, sachez-le bien. Un jeune homme, tant qu’il sent une carabine chargée entre ses mains, ne résiste pas au désir d’en faire usage. Rappelez-vous que chacun de nous ne doit faire feu qu’à tour de rôle, sans se presser, et que le troisième doit attendre, avant de lâcher son coup, que les deux autres aient rechargé.

« C’est une tactique dont l’ami Pepe a reconnu, ainsi que vous, l’excellence, et, de cette façon, six hommes pour chacun de nous, n’ont rien de bien redoutable, quoique cela fasse dix-huit en tout. Seulement, passé ce nombre-là, l’affaire devient sérieuse, parce que, après six coups, le canon s’échauffe, s’encrasse, et ne porte plus aussi juste ; c’est ainsi qu’il m’est arrivé de viser à l’œil droit ou gauche de tel de ces coquins, et d’être ensuite fort étonné de l’avoir frappé au sourcil. Quant à