Page:Gagneur - Trois soeurs rivales.djvu/62

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Cette révélation fut un coup de foudre pour le pauvre baron. Redoutant d’apprendre le nom de celui qu’aimait sa fille et de découvrir encore un paysan dans ce mystère, il jugea qu’il ne pourrait, une seconde fois, supporter une pareille épreuve, et s’abstint prudemment de questionner Gabrielle. Il espéra vaincre sa résolution comme il avait vaincu celle d’Henriette ; il éclata donc en reproches, en menaces, en malédictions, mais Gabrielle fut inébranlable. Alors il eut recours aux prières, aux supplications. Elle s’attendrit et demanda à réfléchir.

En quittant M. de Charassin, Gabrielle courut s’enfermer dans sa chambre ; elle y demeura jusqu’au soir en proie à une fiévreuse perplexité. Quelle révolution douloureuse se faisait dans son esprit ! Une telle proposition de la part de son père bouleversait toutes les notions qu’elle s’était formées jusqu’alors sur le mariage et détruisait ses plus chères illusions. Son père ne lui commandait-il pas une sorte de suicide moral ? Consentir à ce mariage, n’était-ce point mourir à l’amour et au bonheur ?

Au milieu de son désespoir, elle conçut une idée folle : avant de prendre une décision, elle résolut d’avoir un dernier entretien avec M. de Vaudrey. Le lendemain, elle le prit à part et l’emmena dans le parc. Quand ils furent arrivés devant le banc de gazon où quelques semaines auparavant ils s’étaient fait des aveux d’amour, elle le pria de s’y asseoir à côté d’elle.

— Paul, lui dit-elle d’une voix émue, vous rappelez-vous qu’en cet endroit, vous m’avez dit que vous m’aimiez ?

— N’est-ce point en ce jour un devoir pour tous deux d’oublier le passé ? répondit M. de Vaudrey ?

— Oublier ! s’écria la jeune fille avec un